Michelangelo ANTONIONI "Allarmi inutili",
Cinema, 1940
En 1940, Michelangelo Antonioni a vingt-huit ans. Quittant Ferrare, sa ville natale, où il a créé une troupe de théâtre universitaire et mis en scène des pièces de Pirandello, Ibsen, Tchechov et été chroniqueur cinématographique du quotidien Corriere Padano, Antonioni s’installe à Rome avec l’intention d’y faire du cinéma. Son premier emploi est un poste de rédacteur dans la revue Cinema, dirigée par Vittorio Mussolini, le fils du Duce. Ce n’est que trois ans plus tard, en 1943, qu’il réalisera son premier documentaire Gente del Po, considéré avec Quattro passi fra le nuvole de Blasetti e I bambini ci guardano de De Sica, comme une des oeuvres marquantes de la fin du fascisme, annonciatrices du néo-réalisme de l’après-guerre.
C’est pour Cinema qu’Antonioni écrit ces quelques lignes radicales sur la télévision, dans lesquelles Giandomenico Crapis voit une des premières théorisations du cinéma d’auteur, dont Antonioni sera l’un des principaux porte-parole (2).
" Quant à concéder à la télévision l’entrée dans le règne de l’art, franchement nous y mettrons des restrictions (...). C’est que la télévision nécessite presque toujours plus de machines transmetantes en action quasi simultanée. Ce fait augmente la possibilité pratique de la télévision, mais il porte en même temps préjudice à son caractère artistique (artisticità). En effet si dans le cinéma, où tout peut être revu à la fin par une seule personne, il est déjà difficile de travailler suivant un principe unitaire, ici, cela devient vraiment impossible (...). Chaque opérateur agira pour son compte, dans les limites de son indépendance : il suivra ses propres inspirations improvisées, ses propres impulsions, et aussi les circonstances. Les effets de cette fragmentation (frammentarietà) seront bien visibles sur l’écran de réception. (...) Tout cela, dans le cinéma ne se vérifie pas. Ici, les auteurs sont patrons de la matière et peuvent la transfigurer à leur plaisir ".
Le texte d’Antonioni est évidemment daté, dans la mesure où il est antérieur à l’apparition des techniques d’enregistrement, qui permettront aux réalisateurs de télévision de récupérer la maîtrise du montage. Il s'inscrit dans le contexte du débat sur les perspectives de l'esthétique de la télévision commencé en 1933 dans les revues italiennes de cinéma et qu'Antonioni avait probablement suivi. En minimisant les potentialités esthétiques, son texte paraît - comme le titre l'indique - être une réponse à ceux des professionnels du cinéma qui percevaient l'arrivée de la télévision comme une menace.
(1) Sur Antonioni critique de cinéma, voir
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CRAPIS, G., " Les paroles provisoires, ou Michelangelo Antonioni, critique de cinéma ", in DI CARLO C. (ed.), L’oeuvre de Michelangelo Antonioni, vol.1 1942-1965, Cinecittà International, Roma, 1987, pp.292-303.
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LOVE, M. Michelangelo Antonioni: The early years 1935-1950, Academia.
(2) ANTONIONI, M. " Allarmi inutili " in Cinema, n.91, 1940. Repris dans ANTONIONI, M., Sul cinema, a cura di Carlo di Carlo e Giorgio Tinazzi, Marsilio Editore, 2004.
Traduction A. Lange d’après les extraits cités dans CRAPIS G., La parola imprevista. Intellettuali, industria culturale e società all’avento della televisione in Italia, Edizioni Lavoro, Roma, 1999.
(3) Sur Chung Kuo-China, voir GRASSO A., Storia della televisione italiana, Garzanti Editore, Roma, 1992, pp. 290-291 et les articles de E. BRUNO, J. AUMONT, U. ECO et S. CHATMAN dans DI CARLO C. (ed.), L’oeuvre de Michelangelo Antonioni, vol.2 1966-1984, Cinecittà International, Roma, 1988, pp.292-303.
Sur Il misterio di Oberwald, voir ANTONIONI, M., " On the making of The Oberwald Mystery ", Sight and Sound, Winter 1979/80.
Sur Antonioni, voir le site de l'Associazione Michelangelo Antonioni.
Chung Kuo-China (Réalisation de Michelangelo Antonioni avec Andre Barbatto, RAI, IT, 1975) (1/5) Source : MrOrientaloccidental / Youtube
Antonioni réalisera deux oeuvres marquantes de la télévision italienne : Chung Kuo-China (avec Andre Barbatto, RAI, IT, 1975), documentaire sur la Chine de Mao, et Il mistero di Oberwald (RAI-Polytel International, IT-DE, production 1980-1981, diffusion 1982), transposition de L’Aigle à deux têtes de Jean Cocteau, dont on retiendra surtout qu’il est premier film de long métrage tourné entièrement avec des caméras " haute définition ". (3)
André Lange, 25 décembre 2000. Révision 17 février 2018