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Le téléoscope de Charles-François Dussaud (1897-1898)

 

Le téléoscope de Charles-Frrançois Dussaud, plus souvent désigné comme Franz Dassaud ou François Dassaud,  n'a pas eu autant d'écho de presse que son contemporain, le télélectroscope de Jan Szczepanik, Cet appareil n'était, jusqu'à présent, connu que par deux textes de référence.

 

Le premier de ces textes est une note de Dussaud "Sur le transport des variations lumineuses au moyen d'un fil conducteur de l'électricité", présentée  lors de la séance du 18 avril 1898 de l'Académie des Sciences, par Jacques Arsène d'Arsonval, qui dirige le laboratoire de biophysique du Collège de France.

 

Le deuxième texte est un article "Le téléoscope Dussaud" publié le 21 mais 1898  dans la revue La Nature par Armengaud Jeune (Jules Armengaud), le polytechnicien qui dirige un cabinet industriel spécialisé dans la gestion des brevets.  Les deux illustrations qui accompagnaient l'article d'Armengaud et sa traduction dans le Scientific American Supplement constituent un  des rares cas dans cette fin du XIXème siècle, où la description d"un appareil de vision à distance est complétée non pas par un schéma technique mais oar une mise en scène du dispositif.

La mise en ligne des archives de l'INPI nous permet d'identifier une troisième description de l'appareil, la plus détaillée, mais jusqu'ç présent méconnue : ​le 25 novembre 1897, Dussaud a fait une demande de brevet français pour un système de vision à distance par l'intermédiaire des fils conducteurs de l'électricité. Le brevet lui a  délivré le 10 mars 1898, sous le numéro 272532.

 

La comparaison entre le brevet et l'article d'Armengaud pose un passionnant problème de communication : Jules Armengaud, qui était le mandataire de Dussaud pour ce brevet, en a-t-il fait une présentation biaisée et trop flatteuse ? 

 

Charles François Dussaud (1870-1953)

Charles François Dussaud  est né le 14 avril 1870 à Stäfa en Suisse. Il obtient en 1892 un doctorat en physique à l'Université de Genève avec une thèse Réfraction et dispersion de la lumière dans le chlorate de soude cristallisé. Il est Privat-docent de l'Université de Genève (1894), professeur de physique à l'Ecole de mécanique de Genève et en 1895 élu député radical-libéral à Genève.  En, 1895, il fait à Genève des causeries sur le phonographe.

 

Il s'est fait connaître à Paris, où il s'installe en 1896, par l'invention du microphonographe, un appareil qui couple microphone, phonographe et téléphone et qui permet d'amplifier le son des enregistrements phonographiques, en particulier au bénéfice des mal-entendants. Cet appareil fait l'objet de nombreux articles élogieux dans la presse médicale et dans la presse générale, jusqu'à ce qu'un reportage du journal Le Matin dans un centre d'accueil de la rue Saint-Jacques mette en évidence que l'appareil est, dans la pratique, considété comme inutile.

Le brevet pour un appareil de vision à distance et sa note à l'Académie des sciences sur la transmission des vartiations de la lumière ne semble avoir été qu'une parenthèse dans les activités fr Dussaud. Dès décembre 1897, il propose un cinémicrophonographe qui permet de diffuser le son en accompagnement des prohections phonographiques. En 1898, il propose également un appareil censé permettre aux aveugles de percevoir les volumes mobiles et un téléphone haut-parleur (le "pick-up"). Par la suite, il travaillera avec Charles Pathé sur les quesyions relatives au cinéma sonore. Il proposera également ujne amélioration des apparfeils de projection, un épidiascope ("appareil de projection pour corps opaques").  En 1916, il obtient un brevet obtient  pour un système d'éclairage dit de "lumière froide" capable de donner une lumière d'une très grande intensité sans produire de chaleur appréciable. Il s'agissait d'un dispositif d'éclairage pour la photographie. En 1929, il obtient un brevet pour différents effets spéciaux susceptibles d'être utilisés au cinéma ou au théâtre. 

Il revient aux problèmes de télévision en 1932 avec un brevet "Photographie et cinématographie en noir, en couleurs ou en relief sans manipulation et avec vision immédiate des sujets fixes ou animés" (FR754852) et une note à l'Académie des sciences  qui proposent un appareil d'enregistrement et de reproduction des images de télévision. Cet appareil a fait l'objet de quelques articles de presse mais n'a pas été commercialisé. 

En 1936, il obtient des brevets pour des systèmes de commande à distance des véhicuiles aériens et de véhicules non montés. Ses expériences sur les robots et la mémoire artificielle feront qu'il sera considéré dans les années 50 comme un précurseur de la cybernétique.

Pendant la Seconde guerre mondiale, il retourne s'établir à, Genève. Il est décédé le 31 mai 1953 à Paris.

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Illujstrations  de Poyej pour l'article de Jules Armengaud "Le téléoscope Dussaud", La Nature, 21 mai 1898​

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Charles-François Dussaud vers 1895

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Le microphonographe  Dussaud, La Nature, 6 février 1897

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L'Année industrielle, 1897

L'appareil de vision à distance de Dussaud (1897)

  

Nous ne disposons pas d'information sur les raisons qui ont amené Dussaud, spécialisé en acoustique, à s'intéresser en 1897 au problème de la vision à distance. Peut-être a-t-il été incité à explorer ce sujet par Jules Armengaud, qui est son mandataire pour ses premiers brevets relatifs au microphonographe. Depuis 1894, Armengaud défend l'idée que la vision à distance doit être un des "clous" de l'Exposition universelle de Paris en 1900. Il a probablement été informé de l'existence du brevet autrichien de Szczepanik et Kleinberg lors de son séjour à Vienne, début octobre 1897 à l'occasion du Congrès international de la Propriété industrielle. On peut imaginer qu'il a dès lors alerté ses contacts scientifiques et professionnels français sur la nécessité de répondre à l'invention viennoise en préparation.

 

A la différence de son contemporain Jan Szczepanik, qui, à Vienne, donne plusieurs interviews au sujet de son télélectroscope, appareil dont les schémas seront largement diffusés dans la presse, Dussaud  a été assez discret sur son invention. Le brevet n'a pas fait l'objet de communication à la presse, l'inventeur préférant adresser une note à l'Académie des sciences, sans graphiques ou illustrations.. La note fera l'objet de quelques signalements dans la presse, en particulier un article dans Le Temps, mais sans tapage sensasionnaliste.  

 

C'est surtout l'article qu'Armengaud, qui est le mandataire du brevet de Dussaud, qui va contribuer à faire connaître l'appareil, en publiant le 21 mai 1898 dans La Nature un article titré "Le téléoscope Dussaud." A notre connaissannce, le fait qu'un mandataire assure lui-même la promotion de l'invention d'un de ses clients en signant un article de presse, est assez exceptionnel, d'autant que sur la scè,e internationale de l'invention, Armengaud n'est pas un interveneant quelconque. La démarche est d'autant plus étonnante que son est accompagné de deux illutsrations assez frappantes signées Poyej : l'image captée d'un personnage par l'apapreil de transmission est projetée sur un grand écran par l'appareil de réception, à la manière d'une projection de lanterne magique ou d'apapreil de projection cinématographique. Qui plus est, Armengaud  donne un nom spécifique à l'appareil de vision à distance, le  "téléoscope Dussaud". Et, avant toute démonstration, formule le souhait que ke téléoscope sera une des attractions de l'Exposition universelle de Paris qui doit se tenir deux ans plus tard. Cet article sera traduit dans le Scientific American Supplement et c'est à travers cette traduction que les principaux historiens de la télévision connaissent l'appareil (Korn und Glatzel, 1911 ; Shiers, 1977 et 1997 ;  Abramson, 1987).

Rien n'indique que l'appareil ait jamais été construit  et il n'a en tout cas pas fait l'objet de démonstration, ce que ne manque pas de souligner un article de la revue new yorkaise Electrical World, qui souligne que les illustrations de l'article du Scientific American Supplement sont des dessins et non des photographies..

Principe et procédé

Dans le brevet, Dussaud fait une distinction claire entre le principe et le procédé : il s'agit d'une exploitation des propriéts du sélénium, avec, au poste reécepteur, un téléphone qui détermine les modifications  d'intensité lumineuse.

La description du procédé est quant à elle assez complexe et son exposition dans le brevet assez tortueuse : l'inventeur, en plusieurs occasions évoque plusieurs alternatives concevables pour résoudre telle ou telle question. Il intègre par ailleurs des solutions déjà inventées par d'autres, qui ne sont pas nommées Les spécialistes reconnaîtront un recours au disque de Nipkow pour l'analyse, un recours au mécanisme d'horlogerie Hughes pour la synchronisation et même l'eventualité du recours au téléphone manométrique, le téléphone au gaz, qu'avait envisagé en 1889 Lazare Weiller pour son phoroscope  et qu'Emile Desbeaux avait vulgarisé dans sa Physique populaire.

C'est Arthur Korn, comme toujours excellent comparatiste des propositions de la fin du XIXème siècle, qui a le mieux en évidence l'originalité de l'apppreil de Dussaud : celle-ci repose sur le système de plaques (ou diaphragmmes fendus), utilisées comme obturateurs. Korn en propose même une illustration qui, sauf à imaginer qu'elle ne lui ait été communiquée par Dussaud, est probablement de sa propre conception. 

"Son deuxième dispositif - (Korn a d'abord critiqué le système des reliefs) - de réception est un peu meilleur, avec lequel il souhaitait convertir les différentes intensités de courant en intensités lumineuses correspondantes. Au poste de réception, deux diaphragmes a et b (fig. 277) sont enclenchés sur le trajet des faisceaux lumineux, dont l'un b est fixe, l'autre a peut être plus ou moins relevé par un électro-aimant m traversé par les courants d'image. Les ouvertures sont dotées de fentes horizontales et sont disposées de telle manière que des espaces opaques font face à l'ouverture fixe afin qu'aucune lumière ne passe à travers. Mais dès que l’aimant, le disque mobile α, se soulève légèrement, la lumière peut passer à travers, et plus  α est élevé, plus la lumière peut passer. Le mouvement maximum lors du courant le plus fort est égal à la hauteur des fentes individuelles. Mais, comme nous l’avons déjà noté, cette disposition dussaudienne n’a pas non plus de signification notable.".

 

​Cette originalité du système de Dussaud avait cependant été mise en question dès la publication de l'article d'Armengaud Jeune. En mai 1898, l'Abbé Piedfort, un professeur à Calais adresse aux magazines La Nature et  L'Electricien une lettre dénonçant le fait que l'élément essentiel de l'appareil, les "plaques frangées" est une reprise du dispositif qu'il a lui-même inventé. (Voir l'article sur ce site

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Le microphonographe  Dussaud, La Nature, 6 février 1897

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Comptes_rendus_hebdomadaires_des_séances_[._edited.jpg

"Sur le transport des variations lumineuses au moyen d'un fil conducteur de l'électricité", Note de M. Dussaud, présentée par M. d'Arsonval, Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des Sciences, Séance du lundi 18 avril 1898, pp. 1132-1133

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Le Temps, 22 avril 1898

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Schéma du brevet de l'apapreil de Dussaud (1897).

La version complète du brevet est disponible ici 

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Disque de Nipkow dans la planche du brevet de Dussaud

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Téléphone à gaz dans la planche du brevet de Dussaud

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Les plaques (ou diaphragmmes) fendus du téléoscope de Dussaud telles qu'illustrées dans KORN A. und GLATZEL b.  Handbuch der Phototelegraphie und Teleautographie, 1911

Le téléoscope avec projection sur grand écran, invention de Dussaud ou opération de communication de son mandataire Armengaud Jeune ? 

Une autre originalité qui a été attribuée à l'appareil de Dussaud est la projection de l'image sur grand écran. Cette supposée originalirté, ​après un premier examen du brevet - sur lequel il serait intéressant de disposer l'avis d'ingénieurs -  nous apparaît plus probématique.

Le recours à une projection sur grand écran n'apparaît ni dans le brevet ni dans la note à l'Académie transmise par d'Arsonval. 

Voici, comment, dans les spécifications du brevet, Dussaud décrit les conditions de la réception. 

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Figure 4 de la planche du brevet de Dussaud. La visualisation se fait sur la glace horizontale r du récépteur O.

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L'Abbé Piedfort, qui contesta l'originalité des "plaques frangées" de l'appareil de Dussaud.

L'"éclairement propre" est celui de l'objet en amont, et nion à la réception et l'évocation de la persistance rétinienne n'implique pas une projection sur écran. Si nous comprenons bien, c'est sur la glace horizontale r (représentée dans la figure 4 de la planche) que s'affiche l'image obtenue. Il n'est pas question de projection, mais uniquement de lentilles qui permettraient de grossir l'image obtenue sur cette glace horizontale. L'observateur devrait donc se pencher pour regarder l'image, un peu comme dans le kinetograph d'Edison. 

Dans la partie "Revendications"" du brevet, rien n'est dit sur les conditions de l'observation.

 

L'idée de la projection sur un grand écran n'apparaît que dans l'article "Le téléoscope Dussaud" paru dans La Nature  signé par Jules Armengaud et non par Dussaud. En fait, Armengaud a introduit dans son article trois innovations : le nom de l'appareil, téléoscope, néologisme qui ne figurait ni dans le brevet ni dans la note à l'Académie, la notion de projection sur écran et les deux dessins de Poyej, dont celui consacré à l'appareil récepteur illustre la projection sur grand écran.

 

Mon observation sur cette interprétation incorrecte par Armengaud demande à être confirmée par des lecteurs plus qualifiés que moi en matières techniques, mais cette introduction de l'idée de projection de la part du mandataire et non de l'inventeur me paraît vraiment problématique. car c'est bien cette notion de projection qui a retenu l'attention de la presse et par laquelle les historiens définissent l'originalité par rapport aux appareils précédents. Elle a été soulignée dans l'article du New York Times (12 juin 1898), mais surtout par l'historien George Shiers, qui écrit, dans un article de 1977, que Dussaud a visiblement été inspitré par le cinématographe. Dans sa bibliographie de référence Early Television, il résume ainsi le téléoscope : 

"Cet appareil est équipé de disques Nipkow, d'une bobine d'induction et d'un obturateur à grille à ouverture variable actionné par un téléphone. Une lanterne magique avec un arc en carbone permet une projection sur grand écran". 

De même, Albert Abramson, dans son History of Television, valorise la projection :

"La lumière du sujet formait une image à l'arrière de l'appareil et les parties plus ou moins lumineuses de cette image frappaient successivement « un système particulier de plaques de sélénite ». L'obturateur était actionné par un mécanisme d'horlogerie Hughes. Le courant provenant de la sélénite allait jusqu'à une bobine d'induction dans le récepteur qui était reliée au disque d'un téléphone. Ce disque déplaçait une plaque opaque munie de lignes transparentes et la déplaçait plus ou moins devant une plaque identique mais immobile. Ainsi le faisceau lumineux produit par une lampe (N) était forcé de traverser les deux plaques opaques plus ou moins diminué, selon le courant qui passait dans le fil.. Comme la lumière traversait désormais l'obturateur (disque) selon un trajet similaire et synchrone à celui de l'émetteur, une image identique devait être reproduite au niveau du récepteur au bout d'environ un dixième de seconde. Il s'agissait du premier système de télévision qui devait projeter son image sur un écran de visualisation similaire à celui du film. L'appareil devait être présenté à l'Exposition universelle de Paris en 1900, mais ne fut jamais présenté." (Nous soulignons)

Cette présentation de l'appareil de Dussaud comme étant le premier à intégrer la projection se trouve encore chez Mark Schubin (2012, 2018). 

Le décalage entre le texte du brevet et de la note à l'Académie d'une part et de l'article d'Armengaud et des interprétations auxquelles il a donné lieu d'autre part, nous amène à poser une question délicate : l'article d'Armengaud jeune avait-il l'aval du professeur genevois ? Armengaud, comme nous le savons, avait proposé dès 1894 que la vision à distance soit un des "clous" de l'Exposition universelle de 1900. Il le confirme encore dans cet article sur le téléoscope. L'idée de la projection sur écran - renforcée de manière magistrale par l'illustration de Poyej, et la qualification très marketing "téléoscope Dussaud" (la dénomination téléoscope ne se trouve ni dans le brevet ni dans la note à l'Académie) ne serait-elle pas de son initiative plutôt que celle de son client ? Dans ces premiers mois de 1898, une rumeur internationale annonce que le télélectroscope de Jan Szczepanik va être présenté à l'Exposition universelle. Le mandataire aurait-il embellit la proposition de son client pour la rendre plus attractive face à la concurrence venue de Vienne ? Les représentations des appareils de vision à distance, autrement que sous forme de graphiques techniques, sont rares à l'époque : les dessins fantaisistes de Du Maurier et d'Albert Robida, montrent des écrans, mais font l'économie d'une description technique. Avant les deux gravures de Poyej, il n'y a guère que les gravures du téléphote dans la Physique populaire d'Emile Desbeaux qui se risquent à représenter l'appareil. Le 3 avril 1898, donc un peu plus d'un mois avant la parution de l'article d'Armengaud, le San Francisco Call  a représenté une transmission par le télectrsocpe de Szczepanik, où l'on voit un public assemblé dans une salle ded théâtre assister à une projection sur grand écran de la Tour Eiffel, la projection se faisant par l'arrière de l'écran. Il est peu probable que ce dessin ait été connu à Paris à l'époque. 

L'article dans La Nature, qui paraît en pleine lune de miel de François Dussaud, peut avoir été motivé par la conclusion de l'article consacré à la note à l'Académie qui avait été publié par ce magazine le 25 avril. Charles de Villedech concluait sa présentation par un sceptique "Il restera à savoir en quoi ce dispositif est supérieur à ceux qui ont déjà été imaginés". La décision de donner un nom original ("téléoscope Dussaud") à l'appareil peut également résulter de la comparaison avec l'appareil de Jan Szczepanik que publie Georges Vitoux dans Le XIXe Siècle er Le Rappel  sous le titre "Encore le télectroscope".  Après une comparaison des deux appareils, et l'hypothèse que Dussaud avait transmis sa note à l'Académie pour prendre date par rapport à la concurrence du concurrent viennois, l'auteur terminait "Quoi qu'il en soit, nous voilà doté de deux télectroscopes. Quel est le bon des deux ? La question étant à l'ordre du jour, nous ne tarderons pas à être fixé à cet égard"  Un tel renvoi dos à dos des deux appareils nécessait de trouver un avantage visuel et un nom à l'appareil de Dussaud.

Si le mandataire Armengaud a pris des initiatives un peu trop fantaisistes sans l'accord du professeur genevois, dont le sérieux se trouvait mis en doute par la presse, on peut imaginer que ce dernier n'a pas dû apprécier. Cette hypothèse ne pourrait être confirmée que par une éventuelle correspondance à retrouver dans les archives. Toujours est-il que l'on peut constater que pour son  brevet suivant Téléphone haut parleur et téléphonographe déposé le 11 avril 1900, Dussaud a changé de mandataire parisien. 

​Les réactions dans la presse

Si l'information sur le téléoscope a bénéficié, grâce aux deux articles d'Armengaud, d'une diffusion internationale (avec des articles aux Etats-Unis, en Autriche, en Russie, en Italie, en Pologne), il n'a guère suscité ni enthousiasme ni grand débat.

En France, les premiers articles après la défense de l'appareil par Armengaud sont positives : l'article de G. Bardet dans Le Siècle, repris dans Le Moniteur de la Photographie, manifeste d'une certaine symapthie, non sans annexer l'inventeur suisse au génié français :

"C’est là une résolution particulièrement élégante d’un problème difficile, et elle fait grand honneur à son auteur. Naturellement, la vision manque encore de netteté, mais les perfectionnements dépendent désormais de simples conditions mécaniques faciles à déterminer par l’expérience, et il n’y a pas de doute que M. Dussaud soit à même de construire, pour 1900, un appareil parfait qui ne manquera pas d’être un des clous de celte grande fêle industrielle. N’oublions pas, en passant, que ce soie des Français qui ont réalisé la reproduction des vues animées."

De même, M. Suni dans La Dépêche de Toulouse souhaite "chance heureuse" à l'idée "car elle mérite le succès". 

La presse devient plus critique à partir du mois de juillet. Le 9 juillet, le magazine new yorkais The Electrical World indique son scepticisme par des points d'interrogation :

""L'article parle des "résultats concluants" obtenus par M. Dussaud. Les illustrations (qui ne sont pas des reproductions de photographies) montrent un appareil extrêmement simple. Il n'est pas question d'essais réels ni d'appareils existants, les illustrations étant censées montrer simplement les "principes" dans leurs "éléments essentiels".... (...) Le diaphragme de ce récepteur agit (?) sur une plaque opaque munie de lignes transparentes, la faisant se mouvoir devant une autre plaque fixe. Des projections lumineuses se produisent ainsi en synchronisme avec celles du point de départ, ou émetteur, et l'image se reproduit sur l'écran (?). Les deux points d'interrogation que nous insérons à dessein indiquent la conclusion. Il est peut-être dans les limites du possible que M. Dussaud puisse transmettre à distance des images très simples, mais reproduire, comme on le dit, des personnes, des groupes, des êtres vivants marchant et gesticulant, c'est une chose qu'il faut voir pour y croire..."

La lettre de contestation de priorité de l'Abbé Piedfort, publiée par L'Electricien le 25 juin 1898 n'est pas passée inaperçue : elle est signalée par Electrical World, par l'ingénieur civil Lametz lors d'une conférence à l'Académie de Metz, part Rodier dans La Petite Gironde ou encore par Jean Manoussi dans Le Soir. Celui-ci compare l'appareil de Dussaud avec celui de Szczepanik et conclut, après avoir rendu hommage à l'ingéniosité des inventeurs par un scepticisme non seulement sur la possibilité des appareils mais sur leur utilité même  :

"Malheureusement, rien ne prouve que la télectroscopie soit possible. Et d'ailleurs qu'importe ? Il est probable que l'emploi de ces appareils, dont l'utilité de saurait être très grande, ne se serait jamais réalisé".  

L'ingénieur et pamphlétaire Maxime Vuillaume, un des survivants de la Commune revenu à Paris après l'exil, se montre plus perspicace dans son article du Radical et perçoit au moins un usage possible (d'ailleurs devenu réalité) : la surveillance des parlementaires. 

"Il nous faut espérer que M. Dussaud améliorera son téléoscope au point de permettre de voir sur son écran des scènes plus complexes. Un téléoscope placé par exemple dans la salle des séances du Palais-Bourbon permettrait à chaque électeur de vérifier à tout instant s'il ne sommeille pas tranquillement à son banc ou s'il ne court pas la prétentaine au lieu d'accomplir son devoir de législateur. "Monsieur, à telle heure, tel jour, quand se discutaient à la tribune nos intérêts les plus chers, vous étiez tranquillement à la buvette, sirotant un verre de kümmel - ô horreur - en compagnie de l'abbé Gayraud, vous qui fulminiez ici contre la prêtaille". Le député reste interdit. Il se souvient cependant qu'on l'a demandé un jour au téléoscope de la buvette. Maudit téléoscope. "Plus moyen de vivre en paix". La prochaine fois, murmure l'élu entre ses dents, ce que je lui ferai un pied de nez, à mon électeur. Tant pis s'il le voit à l'écran"

Certains articles se montent plus indulgents et prennent la défense de l'appareil et de son inventeur. Peut-être les articles ont-ils été suggérés par celui-ci ou par Armengaud. Ainsi Rodier dans La Petite Gironde écrit tout de go "M. Dussaud a pu réaliser à distance de l'image d'une personne. Ce n'est encore là que qu'un premier pas dans une voie qui promet d'être féconde." Répondant à la protestation de l'Abbé Piefort, il conclut :

"Il est évident d'ailleurs que M. Dussaud ne prétend pas avoir découvert les propriétés des divers appareils qu'il emploie pour constituer le téléoscope. C'est la combinaison de ces appareils qui a fourni la solution du problème et cette combinaison est bien certainement, et sans aucun doute possible, l'oeuvre originale du physicien distingué à qui nous devons déjà le microphonographe". 

Le Monde moderne publie quant à lui dans son numéro de juillet dans "Causerie scientifique" de G. Mareschal (laquelle sera traduite en russe), une présentation du téléoscope, qui, de manière intéressante, publie des illustrations alternatives à celles de l'article d'Armengaud. La figure illustrant le récepteur inclut toujours un écran, mais celui-ci n'est plus extérieur à l'apapreil comme dans le dessin de Poyej mais intérieur au boîtier de l'appareil ! Le Monde moderne était une revue lancée trois ans plus tôt par l'éditeur Quantin, plus généraliste que La Nature. G. Mareschal y était un chroniqueur scientifique régulier. Son article est beaucoup moins dythrambique que celui d'Armengaud (auquel il ne fait pas référence, s'en tenant à la note adressée à l'Académie) et reconnaîr que Dussaud n'est pas encore arrivé à une solution complètement satisfaisante.Il affirme néanmoins que Dussaud a réussi la transmission d'images d'objets, ce dont il n'y a toujours aucun élément probant. 

Le 31 août, la revue new yorkaise Electricity donnera le coup de pied de l'âne au téléoscope en le qualifiant d'"alleged invention" et en terminant son article sur les annonces de démonstrations des appareils de Szczepanik et Dussaud à l'Exposition universelle : "Seeing by believing". 

La différence de traitement entre les appareils de Szczepanik et de Dussaud

Au delà d ela comparaison technique entre l'appareil de Dussaud et celui contemporain, et même légèrement antérieur, de Szczepanik, il est intéressant de comparer le déploiement des deux scénarios de communication. Szczepanik est un inventeur isolé, vivant difficilement son métier d'instituteur de village en Galice. Dussaud est professeur d'Université et député. L'appareil de Saczepanik est annoncé dans la presse par une "fuite" d'origine inconnue, dénoncée par l'inventeur, alors que celui de Dussaud est dévoilé par une note à l'Académie des Sciences, présentée par un des membres éminent de celle-ci. L'appareil du professeur suisse a donc directement obtenu la reconnaissance institutionnelle et des articles de presse basée sur elle, ainsi qu'une  publication signée par son mandataire Armangaud dans des revues à forte légitimité telles que La Nature et Scientific American Supplement) mais n'a suscité que quelques articles critiques dans la presse américaine. A l'inverse l'invention de l'"instituteur polonais" a bénéficié d'une large couverture internationale dans la presse quotidienne et les magazines populaires, mais a été reçu avec scepticisme et souvent des critiques féroces dans la presse professionnelle. Aucun des deux appareils n'a fait l'objet de démonstrations certifiées et, au-delà de leurs différences de conception, avaient une faiblesse commune, le manque de réactivité du sélénium.  qui fut largement soulignée par les critiques de Szczepanik, mais que personne, ne semble avoir soulevé à propos de l'appareil de Dussaud à l'exception d'un commentateur polonais, L.W. Szczerbowicz, qui, dans le magazine illusytré Tygodnik illustrowany, renvoie Szczepanik et Dussaud dos à dos sur ce point, tout en donnant l'avantage au Suisse pour la conception de l'appareil.

 

Dussaud semble avoir pris ce problème en considération dans ses rélexion successive. Il n'a plus communiqué sur ses expériences, sauf en 1902, à suite à la communication à l'Académie des Sciences d'une note sur l'appareil de Coblyn, qui l'amène à transmettre à l'institution un note "Nouvelles expériences sur la résistance électrique du sélénium et ses applications à la transmission des images et des impressions lumineuses."  Il y décrit le tyoe de cellule qu'il utilise dans ses travaux et y réaffirme sa conviction que la vision à distance est possible. 

Les retours épisodiques du téléoscope dans la littérature sur la télévision

Contrairment au Fernseher de Szczepanik, e téléoscope de Dussaud n'a pas fait partie des appareils régulièrement cités dans les états de l'art sur la télévision. Bien sûr aucun des deux appareils ne sera montré à l'Exposition, mais le téleoscope de Dussaud, contrairement à l'appareil de Szczepanik, ne sera pas cité par l'état de l'art que Constantin Perskyi, dans sa communication "Télévision au moyen de l'électricité", présente au Congrès international de l'électricité (Paris, 1900).Korn et Glatzel le citent encore dans leur Handbuch de 1911, mais Mihaly ne le cite plus dans la rétrospective des apapreils proposés qui ouvre son livre Das elektrischen Fernsehen und das Telehor. (1923). Il fait cependant des réapparitions épisodiques : ainsi, en 1918, dans son article prospectif "Television and the Telephot" paru Electrical Experimenter, le journaliste et auteur de science-fiction Hugo Gernsback en propose une description et une nouvelle illustration est proposée, clairement inspirée de ceux de l'article du Scientific American Supplement.  Le texte et l'illustration sont repris dans la publication All about Television, Experimenter Publishing Company, 1927 dont Gernsback signe la préface. 


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Les illustartions de l'article d'Armengaud Jeune dans Scientific American Supplement, 2 hjuillet 1898

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New York Times, 12.6.1898

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Jules Armengaud, dit Armengaud jeune, mandataire et promoteur du téléoscope de François Dussaud.

Chronologie Dussaud / Armengaud / Szczepanik (1897-1898)

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"The Dussaud Teleoscope", Electrical World, 9.7.1898

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Illustration de l'article consacré au téléoscope de Dussaud dans Le Monde moderne, juillet 1898

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Electricity, August 1898

L'appareil de Dussaud fait un encore curieux retour dans un article de L'Action française du 10 octobre 1936, où il est comparé au disque de Nipkow et avec des illustrations, elles aussi inspirées de celles de l'article d'Armengaud. 

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Maxime Vuillaume (1844-1925)

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Le téléoscope de Dussaud dans le magazine illustré polonais Tygodnik illustrowany, 16.7.1898

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Illustration de l'article de Hugo Gernback, "Television and the Telephot", Electrical Experimenter, May 1918

L'Action française, 10 octobre 1936

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Le récepteur du Fernseher de Szczepanik, San Francisco Call, 3 April 1898

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Le récepteur du téléphote dans la Physique populaire d'E. Desbeaux (1890)

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Illustrations du téléoscope de Dussaud dans l'a version russe de l'article de G. Lareschal Novyĭ zhurnal literatury

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Le texte complet du brevet du téléoscope de Dussaud est disponible sur ce site.  (Source : Archives INPI)

En 1932, Dussaud obtient deux brevets pour une préfiguration de magnétoscope

Pendant les deux premières décennies du XXe siècle, Dussaud va consacrer l'essentiel de ses travaux à des questions d'acoustique, d'éclairage et de projection cinématographique, mais il reviendra brièvement à la télévision en proposant, en 1932, un appareil permettant l'enregistrement et la reproduction des images animées. Cet appareil fera l'objet d'une note à l'Académie des Sciences (non publiée) et de deux brevets, l'un français, l'autre suisse. Suivant son descriptif, l'invention consiste essentiellement :

1° Dans la combinaison d'un poste transmetteur de télévision d'un système quelconque opérant en noir, en couleur, en relief, en circuits de transmission multiples etc., avec un enregistreur électrique de système quelconque donnant des traces tangibles magnétiques ou visibles, etc., sur disque, ruban, cylindre, etc ;

2° Dans la combinaison d'un reproducteur électrique de système quelconque utilisant les mêmes traces que celles données par l'enregistreur électrique dont on s'est servi pour l'enregistrement combiné à un poste récepteur de télévision de même espèce que le poste dont on s'est servi pour la transmission.

Les deux appareils ainsi décrits peuvent être combinés en un seul à la fois enregistreur et reproducteur. 

La place du téléoscope dans l'historiographie de la télévision après la Seconde Guerrem mondiale

 

 

Les historiens du développement technique de la télévision (Shiers, Abramson, Burns et les archéologues des médias (Zielinski, Roberts, Huhtamo)  mentionnent le téléoscope de Dussaud, mais, comme nous l'avons vu, uniquement à travers la traduction de la note à l'Académie des sciences et l'article d'Armengaud. Ils ne reproduisent pas les gravures dans leurs ouvrages. L'ingénieur allemand Walter Bruch est probablement le premier à republier les deux gravueres de Poyej dans son livre Die Fernseh-Story, 1969 mais il date l'appareil de Dussaud du début du XXe siècle ! Leonard de Vries est le premier à reproduire les gravures avec une notice historique  dans ses Victorian Inventions (1972). On retrouve les gravures dans quelques travaux plus récents d'historiens (Lange, 2000, Schubin, 2012, Seguin).

 

Assez curieusement, les historiens suisses de la télévision n"ont pas, à notre connaissance, publié sur l'épisode du téléoscope. Les archives de Dussaud se trouvent pourtant à la Bibliothèqe de Genève harles-François Dusssaud est un des rares inventeurs de la fin du XIXème siècle ayant été actif dans le domaine de la télévision à avoir vécu après la Seconde Guerre mondiale et qui a écrit son autobiographie. Il serait étonannt que les archives ne contiennent pas quelques éléments nouveaux sur l'épisode du téléoscope. 

André Lange, 23 août 2024

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Compte rendu de la séance du 17 août à l'Académie des Sciences, Jour,al des débats politiques et littéraures, 19août 1922

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Schéma de l'appareil enregistreur de Dussaud (Brevet suisse, 1932)

Bibliographie

Sur François Dussaud

  • FRAUENFELDER Consuelo Le Temps du mouvement. Le cinéma des attractions à Genève(1896-1917), Préface de R. Pithon, Genève, Presses d’histoire suisse, 2005, 186 p.

Sur le téléoscope

  • "Sur le transport des variations lumineuses au moyen d'un fil conducteur de l'électricité", Note de M. Dussaud, présentée par M. d'Arsonval, Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des Sciences, Séance du lundi 18 avril 1898, pp. 1132-1133. ; également in 

    • Recension, La Nature, 25 avril 1898, p. 355

    • Industrie Électrique v. 7 10 mai 1898, pp. 188-189

    • L'Electricien, v.15 1898, 14 mai 1898

    • Recension in Journal des débats politiques et littéraires, 20 avril 1898

    • Recension, Le Gaulois, 20 avril 1898

    • RecensionLa Petite Gironde, 25 avril 1898

    • Recension, La Petite Gironde, 26 avril 1898

    • Recension in Fortschritte der Physik 1898 pt.1, p.684

    • Recension in Il Nuovo cimento ser.4:t.8 (1898), p.325

  • Abbé PIEDFORT, Lettre, La Nature, 11 juiin 1898

  • ​"The apparatus of the Galician inventor...", The New York Times, 12 June 1898

  • VUILLAUME Maxime, Article dans Le Radical, 19 juillet 1898 (cité par Jean-Clauded Seguin). 

  • G. MARESCHAL, "Causerie scientifique", Le Monde moderne, juillet 1898; pp. 119-120

    • Traduction en russe in Новый журнал литературы, искусства и науки Novyĭ zhurnal literatury, iskusstva i nauki g.2 t.6 1898​, pp.78-79

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Sur l'appareil d'enregistrement et de reproduction des images animées

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Science et Monde, 26 avril 1924

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M.C. GRADY, "La vision à distance", Le Petit Temps, 30 juin 1898​ (Source : Retronews)

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