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George Louis Palmella Busson du Maurier 
et le soi-disant téléphonoscope d'Edison 
Punch's Almanack for 1879 (Punch, 9 December 1878)
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La première représentation imaginaire d'un écran de télévision "Edison's Telephonoscope" par George du Maurier (1878)

George du Maurier, "Edison's Telephonoscope", Punch, 9 December 1878

(by courtesy of David Fisher, Terramedia)

"Edison's telephonoscope" : le premier cartoon représentant la vision à distance par l'électricité

Dans l'Almanach for 1879 de Punch (paru le 8 décembre 1878), George du Maurier fait écho à la rumeur selon laquelle Edison venait de mettre au point le téléphonoscope, censé permettre la communication visuelle à distance.

   

Le dessin de Du Maurier représente un couple de parents qui, assis dans leur fauteuil, regardent leur fille jouer au tennis à Ceylan et dialoguent avec elle. 'Notons que la jeune femme jouant au tennis est un thème récurrant dans Punch en 1878). Comme le père s'enquiert, en chuchotant, de la jolie compagne de sa fille, celle-ci lui promet une présentation en fin de partie.

Voici le texte de la légende : 

(Every evening, before going to bed, Pater and Materfamilias set up an electric camera obscura over their bedroom mantel-piece, and gladden their eyes with the sight of their Children at the Antipodes, and converse gaily with them through the wire.)
Paterfamilias (in Willow Place): “Beatrice, come closer, I want to whisper.”

Beatrice (from Ceylon): “Yes, Papa dear.”
Paterfamilias: Who is that charming young lady playing on Charlie’s side!
Beatrix: “She’s just come over from England, Papa. I’ll introduce you as soon as the game’s over!” 

Les historiens de la télévision sont unanimes à reconnaître dans ce dessin de du Maurier la première anticipation graphique de la télévision, tenant compte de la mise au point du téléphone. Ce dessin prend place dans une série de dessins que du Maurier consacre aux technologies de communication.

 

Le véritable téléphonoscope d'Edison

Edison est bien l'inventeur d'un téléphonoscope, qu'il présente à un de ses correspondants, Uriah Painter, dans une lettre (perdue) du 5 mai 1878 (1), et que Painter propose immédiatement de faire breveter, dans une lettre du 13 mai 1878 (2). Mais il s'agit d'une sorte de double cornet acoustique, permettant de transmettre des conversations sur une distance de 1 à 2 miles (3). Edison avait fait un premier dessin sur un carnet de note le 2 avril 1878. Le 10 mai, il fit des schémas en vue d'une demande de brevet. Les dessins apparaissent dans un ensemble intitulé "Laboratory Notebooks", réunis dans Notes and Drawings by Edison, propriété de Swann Galleries qu'Edison aurait présenté à l'artiste James E. Kelly en mai 1878. Le projet de telephonoscope est cité dans le Boston Globe dès le 24 mai 1878 (4). Il apparaît aussi dans un ouvrage sur le phonographe paru en 1878 (5). Le projet de telephonoscope est cité dans le Boston Globe dès le 24 mai 1878 (4). Il apparaît aussi dans un ouvrage sur le phonographe paru en 1878 (5). 

 

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L'instrument fut ensuite connu sous le nom de mégaphone.  Edison étudiera par la suite les applications pour les mal-entendants sous le terme d'auriphone. Divers articles sont parus dans la presse américaine début juin 1878 sur le megaphone, aussi appelé Edison's Ear Telescope.

George du Maurier

(1) "Letter of Uriah Painter to Edison", Washington DC, 5-13-1878, in ISRAEL, P.B., NIER, K. and  CARLAT, L. (ed.), The Papers of Thomas A. Edison, vol.IV, The Wizard of Menlo Park, The John Hopkins University Press, Baltimore and London, 1999, pp.281-282.

(2) Painter écrit : "Hurrah for the telephonoscope. I'll get patent on it for you promptly as the others.  (...) Get up Patent application for Telephonoscope right away".

   

(3) La note des éditeurs la magistrale édition des Edison Papers  est la suivante :

"The telephonoscope was a device for receiving sound over great distance. Its basic design consisted of long paper funnels to the ends of which were connected flexible tubes for insertion into the listener's ears. When used with a speaking tube, the device reportedly enabled conversation to be "carried on through a distance of one and a half to two miles in an ordinary tone of voice. A low whisper, uttered without using the speaking trumpet, is distincyly audible at a distance of a thousand feet, and walking through grass and weeds may be heard at a much greater distance" (Prescott, 1879, 563). Edison made a preliminary note-book drawing of this device on 2 April and on 10 May made sketches for a draft caveat. The instrument susequently became known as the megaphone. "Edison's Ear Telescope", New York Sun; "The Megaphone", New York Herald, both 8 June 1878, Cat. 1240, items 660-61, Batchelor (TAEM, 92:227), "Edison's Megaphone", Sci. Am. 38 (1878): 113-114.

   

Edison explored ways of adapting the telephonoscope for use as a personal hearing aid, a device he termed the auriphone). He sketched ways in which the listening tubes could collapse telescopically to make them portable, and considered various shapes and arrangements of resonator tubes. Doc. 1361; NS-78-002, Lab. (TAEM 7:762); "Ears for the Deaf", New York Daily Graphic, 5 June 1878; "The megaphone", New York Herald, 8 June 1878, Cat. 1240, items 645, 661, Batchelor (TAEM, 94:221, 227)."

(4) "A visit to Edison", The Boston Globe, May 4, 1878;

(5) GARBIT F.J., The phonograph and its inventor, Thomas Alvah Edison : being a description of the invention and a memoir of its inventorGunn, Bliss, 1878, 

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Premier dessin d'Edison 'un telephonoscope, 2 April 1878, Edison Laboratory Notebook.

Dessins du véritable téléphonoscope d'Edison,17 May 1878 in Technical Notes and Drawings (Edison Papers at Rutgers University, by courtesy of Swann Galleries).

Dessins du véritable téléphonoscope d'Edison,17 May 1878 in Technical Notes and Drawings (Edison Papers at Rutgers University, by courtesy of Swann Galleries).

Resituer le dessin de du Maurier dans son contexte

Ivy Roberts a reconstitué, dans un très intéressant article, le devenir de l'appareil durant le second semestre 1878. Elle suggère le concept de «folklore technologique» pour rendre compte des rumeurs, du ouï-dire et des commentaires des journalistes qui ont contribué à la construction de représentations culturelles du téléphone et de la lumière électrique. «Edison’s Telephonoscope» représente «discovery mania» en négociant entre les prétentions exagérées de l’invention et le rejet satirique des nouvelles technologies pour elles-mêmes. Elle encourage les historiens des médias à nuancer la perspective présentiste, qui associe le dessin de du Maurier à un écran de télévision ou électronique, avec le point de vue du lecteur contemporain, qui aurait compris la représentation non pas comme une prophétie mais comme une spéculation et une critique. de la technologie. Selon Roberts, "En associant le téléphone, un appareil spéculatif, au personnage de l'inventeur américain Thomas Edison, l'illustration de George Du Maurier fait la satire de la façon dont chacune de ces nouvelles inventions a fait monter la barre. Il signifie l'absurdité du progrès technologique futuriste et insinue une attitude sceptique à l'égard de la surenchère technologique."

Le scepticisme et les moqueries vis à vis des annonces d'Edison semble avoir commencé lorsque The New York Daily Graphic publie le 16 mai 1878 un article évoquant la discovery mania, article qui sera reproduit dans de nombreux quotidiens locaux. Cet article fait suite à une annonce d'Edison, dans le Chicago Tribune qu'il se faisait fort de mettre au point une "oreille artificielle", affirmation implicite de sa philosophie des prothèses sensorielles. Le journal new-yorkais en profitait pour ironiser sur la possibilité d'un oeil artificiel (ce à quoi rêvait déjà un journaliste du Scientific American en mai 1876 après la présentation de l'oeil électrique au sélénium des frères Siemens)..

 

A peine quinze jours après l'annonce du telephonoscope par le Boston Globle, plusieurs journaux, dont The Sun dans l'article "Edison Outdoing himself", le 7 juin 1878 -  moquerie, simple erreur de transcription - parlent de telescopophone.  Dès le lendemain The Sun rectifie le tir : le titre de l'article est "Edison's 'ear telescope" et l'inventeur explique que telescopophone n'est pas le nom de l'appareil, mais que celui-ci s'appelle megaphone. Fuite ou coïncidence, le terme megaphone apparaissait déjà dans une satire "A New Phone" publiée le 4 juin par  The Burlington Hawk-Eye (Iowa).

ROBERTS I., ‘Edison’s Telephonoscope’: the visual telephone and the satire of electric light mania, Early Popular Visual Culture, 2017, 15:1, 1-25. Voir également ROBERTS I., Visions of Electric Media, Television in the Victorian and Machine Ages, University of Amsterdam, 2019;

"The discovery mania...", The New York Daily Graphic, 16 May 1878

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Le téléphonoscope d'Edison mentionné dans The Daily Evening Traveller, 23 May 1878

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Une variante : le TelescopophoneThe Sun, June 7 1878

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Les critiques sur le caractère peu opérationnel de l'appareil se multiplient. En septembre 1878, Edison présente son ampoule électrique et ses théories sur l'intérêt de développer l'énergie électrique, ce qui entraîne bientôt l'electric light mania, qui se propage en Angleterre et fait la joie des caricaturistes. Selon Roberts, le dessin de du Maurier, mais aussi les autres dessins de l'Almanak for 1879 de Punch doivent se comprendre dans ce contexte. Roberts avance l'idée que les lecteurs de Punch, en voyant le dessin du telephonoscope étaient bien au courant des déboires d'Edison avec son appareil. Le dessin de du Maurier offre l'avantage de fournir un cadre à l'écran, à une époque où le cinématographe n'existe pas encore. Dès le début du 20ème siècle, le dessin sera cité comme une anticipation de la télévision. (Voir en particulier "Du Maurier's Cartoon in London "Punch" 34 Years ago Anticipated Edison", The Sun, New York, March 16, 1913). 

Le dessin de Du Maurier va assurer le succès du terme téléphonoscope dans le sens d'appareil de vision à distance.

"Telephonoskopikokosmos", Manchester Evening News 4 October 1879

En France, le terme telephonosocpe devra sa fortune au talent d'Albert Robida qui, dans Le Vingtième Siècle et La Vie électrique va décliner les usages sociaux à venir de ce qui ne s'appelle pas encore la télévision. 

On retrouve le telephonoscope dans une fantaisie d'anticipation "Vienna Century Hence"

Le succès d'un terme

 

Eléments de bibliographie

APPELBAUM, S. and KELLY, R., Great Drawings and illustrations from Punch 1841-1901, Dover Publications Inc., New York, 1981.

KELLY, Richard, The Art of George du Maurier, Ashgate Scolar Press, 1996, 264 pp

"George Du Maurier, Illustrator and Novelist (1834-1896): An Overview"  (> The Victorian Web)

ROBERT, Isy, "Edison's Telephonoscope' : the visual telephone and the satire of electric light mania", Early Popular Visual Culture, 15:1, pp.1-25, 2015.

André Lange, 18 janvier 2000, Révision décembre 2017.

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