Maurice Leblanc théorise l'analyse linéaire de l'image et suggère le recours aux miroirs oscillants (1880)
La contribution de Maurice Leblanc (1857-1923) à l'histoire de la télévision se résume à une seul texte "Etude sur la transmission électrique des impressions lumineuses" publiée dans la revue La Lumière électrique, le 1er décembre 1880.
C'est une des premières publications d'un des principaux plysiciens et inventeurs français du tournant du siècle, qui sera élu à l'Académie des Sciences en 1918. Il est entré à l'Ecole polytechnique en 1876, à l'âge de dix-neuf ans, mais a démissioné deux ans plus tard. Il a vingt-trois ans lorsqu'il publie ce texte ardu, dont quelques historiens des développements techniques de la télévision (Dauvillier, 1928 ; Champeix, 1966 ; Soulard, 1971 ; Burns, 1997 ; Raatschen, 2005 ; Sauvage, 2012) ont souligné l'importance. Citant les premières lignes du texte, Robert Soulard n'hésite pas à écrire : "On peut considérer ce texte comme la charte de la télévision mais elle n'a pas encore ce nom et s'appelle le Téléphote".
Le texte commence en effet par une déclaration ambitieuse, qui défini l'objectif de manière durable :
"Le problème que nous nous proposons de résoudre est celui-ci :
"L'image d'un objet quelconque, variable ou non, étant projeté sur un écran, fait paraître en un endroit quelconque, simplement en relation électrique avec le lieu où apparaît la première image, sur un deuième écran, une image qui soit à chaque instant semblable à celle projetée sur le premier"."
Ce texte s'inscrit dans l'efforescence de contributions relatives à la possibilité de la vision à distance en recourant aux propriétés du sélénium, stimulée par la présentation du photophone de Graham Bell. Mais Leblanc ne se contente pas, comme la plupart de ses contemporains d'imaginer une solution recourant au sélénium, mais suggère d'autres possibilités.
Russell Burns résume ainsi cet article : "Une grande partie de son article dans La Lumière Electrique (1880) consiste essentiellement en un catalogue des effets et des dispositifs qui, selon lui, pourraient se révéler utiles. La propriété photoconductrice du sélénium, la cellule photovoltaïque de Becquerel, l’effet thermoélectrique et les mécanismes utilisant la pression du rayonnement (sic) sont mentionnés, Parmi ceux-ci, les plus originaux sont ces derniers. Un récepteur devait comprendre une enceinte en forme d’œuf, noircie à l’intérieur, contenant une très petite pièce d’acier flexible noircie montée près d’une bobine. « Elle sera plus ou moins repoussée par le rayon tombé en m suivant son intensité et sa réfrangibilité". écrit Le Blanc. En conséquence, une force électromotrice sera générée, dit-il. Aucun détail pratique ou calculs ne sont fournis".
Ce n'est pourtant pas l'hypothèse de l'enceinte en forme d'oeuf qui sera retenue comme la proposition la plus intéressante. L'hypothèse d'un recours aux miroirs oscillants sera retenue comme l'idée principale, et celle qui produira des effets sur la recherche de solutions pratiques, Deux semaines avant la publication de l'article, un autre ancien élève de Polytechnique, Jules Armengaud, dit Armengaud Jeune, avait fait à la Société des ingénieurs civils une conférence sur le photophone de Graham Bell et avait évoqué les premières hypothèses "farfelues" d'Adriano de Paiva et de Constanin Senlecq comme réponse insuffisante à la question de la vision à distance.
"Mais si le problème; est encore loin d'être résolu, on conçoit qu'il puisse l'être un jour. Des ingénieurs, au nombre desquels je citerai MM. Marcel Deprez et Maurice Leblanc s'occupent de la question. M. Bréguet lui-même m'a dit y avoir songé. Ces messieurs prennent tous comme point de départ la combinaison des vibrations de deux diapasons à miroir permettant de faire déplacer un rayon lumineux dans toutes les directions. Ce rayon, promené sur l'objet dont il s'agit de transmettre l'image, sera projeté sur une première plaque de sélénium placée à la station transmettrice. Sous l'influence; du rayon, qui varie en intensité et en coloration, des courants électriques ondulatoires prendront naissance et traverseront le fil de communication pour aller impressionner pareillement une seconde plaque de sélénium placée à la station réceptrice. Celle-ci réagira; par un mécanisme électro-magnétique convenable sur un système de deux diapasons semblables à ceux de la première station et vibrant synchroniquement avec eux, de telle sorte qu'ils enverront le rayon sur un écran où il reproduira l'image de l'objet."
Il paraît évident Armengaud avait eu connaissance de la proposition de Leblanc avant sa présentation et il est intéressant qu'il présente le recours aux diapasons à miroirs de Lissajous et aux miroirs oscillants comme le point commun de la réflexion de Leblanc, Deprez et Bréguet, ces deux derniers n'ayant malheureusement rien publié sur la question.
En 1928, Alexandre Dauvillier, dans son important état de l'art "La télévision électrique" publié dans la Revue générale d'électricité et dans Archives d'électricité médicale avait donné une lecture similaire de la contribution de Leblanc, en l'opposant aux contributions antérieures de Sawyer, De Paiva et Senlecq, qui posaient de manière assez sommaire la question de l'analyse de l'image, voire, dans le cas de De Paiva, ne la posaient pas du tout. Selon Dauvillier, le principe d'analyse et de synthèse de l'image proposée par Leblanc est doublement harmonique et est une application à l'image de la théorie que Lissajous avait proposé en 1857 pour l'analyse des vibrations sonores, en recourant à deux diapasons et des miroirs oscillants.
En schématisant, on peut dire que Leblanc réintroduit dans la réflexion sur la transmission électrique des images la notion d'analyse linéaire que Bain avait imaginée en 1850 pour son télégraphe chimique. A la fin de son article, Leblanc promet un "prochain travail", mais il ne reviendra pas publiquement sur cette question. D'autres vont s'en charger.
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Le premier à signaler l'article est le journaliste Victor Meunier, qui avait été un des premiers à faire connaître le télectroscope de Constantin Senlecq et qui dans un article "Voir par le télégraphe" (Le Rappel, 25 mars 1881) propose un état de l'art bien informé.
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Le 19 septembre 1881, à l'issue du Congrès international des électriciens de Paris, le liégeois Alexandre Neujean demande que l'on étudie la transmission électrique des images à distance par les miroirs vibrants".
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En 1889, la réflexion de Lazare Weiller sur la vision à distance s'inspirera des mêmes principes mais généralisera le principe en remplaçant les diapasons par la roue à miroirs.
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Le principal vulgarisateur de la proposition de Leblanc sera, même s'il ne cite pas son nom, Emile Desbeaux dans son traité Physique populaire qui, s'adressant à un public moins spécialisé est plus pédagogique. Desbeaux suit Weiller sans nécessairement être remonté à la source.
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En 1897, le Fernseher ou télélectroscope du polonais Jan Szczepanik, breveté en Autriche avant de l'être en Angleterre et en France l'année suivante, reposera sur l'utilisation des mémoires oscillants, Rendu public le 25 février 1898, celui-ci sera un véritable événement médiatique durant plusieurs mois. Dauvilliers et Burns suggèrent que Szczepanik a été inspiré par l'article de Leblanc, mais ceci ne pourra probablement jamais être établi formellement.
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Le 25 mars 1898, réagissant à l'annonce de l'appareil de Szczepanik, C.A. Lee fera connaître dans The British Journal of Photography son propre appareil utilisant les miroirs oscillants.
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Le 6 mai 1898, The Electrical Review publie une lettre de Chas. O Bastian et A.J. Parsons, réagissant également à l'annonce de Szczepanik indiquant qu'ils ont exploré, sans succès, la méthode des miroirs oscillants dès 1890. Ils revendiquent la priorité de l'idée, tout en soulignant que la méthode pourrait difficilement être opérationnelle.
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En 1906, le "telegraphoscope multiplex définitif" d'Edouard Belin inclut un miroir vibrant (voir Soulard, 1975, p.273). L'importance de l'article de Leblanc dans les recherches de Belin sera souligné en 1923 par la revue Sciences et Voyages qui écrit que l'application du "principe" de Leblanc "réalise la téléphotographie et peut-être demain donnera la solution au problème de la télévision".
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En 1919, le Telehor de l'inventeur hongrois Denes von Mihàly incluit lui aussi un miroir oscillant.
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Le 16 octobre 1923, Alexander McLean Nicoloson, ingénier à la Western Electric Company, dépose un demande de brevet "Television" proposant un système utilisant un miroir oscillant pour l'analyse et u tube de Braun pour l'affichage. Le 16 octobre 1923, onze jours avant la mort de Maurice Leblanc, le brevet sera attribué. Il s'agit du premier brevet aux Etats-Unis relatif à la télévision.
A.L. 3 août 2024
Maurice Leblanc (Sciences et voyages,
13 décembre 1923)
Expérience des diapasons de Lissajous dans la Physique populaire d'Emile Desbeaux.
Bibliographie
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"Maurice Leblanc (ingénieur)", wikipedia, consulté ke 4 août 2024
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"Notre dernière visite à Maurice Leblanc", Sciences et Voyages, 13 décembre 1923
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Annonce du décès de Maurice Leblanc, Académie des Sciences, "Séance du 29 octobre 1923", Comptes-rendus hebdomadaires, 1923, pp.805-806
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ROBERTS E.L., "Maurice Leblanc", Heritage group Website.