Julian Ochorowicz, le polymathe polonais qui imagina en 1878 la télévision pour l'opéra
Mark Schubin
Nous avons le plaisir de présenter pour la première fois en français la traduction d'un article publié le 10 février 2017 par Mark Schubin, ingénieur freelance auprès du département de service audiovisuel du Metropolitan Opera et animateur du Schubin Café, un blog sur les médias audiovisuels et leur histoire. Dans cet article, Schubin met en évidence, pour la première fois, la contribution du polonais Julian Ochorowicz (1850-1917), plus connu pour ses travaux en psychologie (notamment sur la télépathie).
Son nom était Julijan Ochorowicz (bien que son prénom fût aussi orthographié Julian ou même Julien), et il était, entre autres, un scientifique, un ingénieur, un mathématicien, un inventeur (crédité du premier téléphone mains libres), un économiste, un linguiste, un égyptologue, philosophe, poète, enseignant, chercheur en phénomènes paranormaux et pionnier de la psychologie expérimentale et clinique. Sa première thèse portait sur l'histoire de la taille du cerveau humain; son deuxième, qui lui valu un titre de docteur de l'Université de Leipzig, portait sur les conditions de la conscience. En 1877, il publie un article sur la respiration dans le journal Kosmos.
Le 10 février 1878, dans le même journal, il soumit un article très différent, qui fut bientôt publié. Le titre de cet article (traduit du polonais du 19ème siècle, avec l'aide de Google et de locuteurs natifs) était "Sur la construction possible d'un dispositif pour transmettre des images optiques à n'importe quelle distance." Quel était l'objectif de l'appareil ? Livrer l'élément visuel de l'opéra !
L'article d'Ochorowicz n'était pas le premier à être publié sur ce que nous appelons aujourd'hui la télévision et même pas le première à invoquer la télévision pour l'opéra. Ochorowicz aurait travaillé sur la possibilité de la télévision dès 1877; J'attends la disponibilité de matériel de recherche complémentaire à ce sujet.
La première publication sur ce que nous appelons aujourd'hui la télévision (et son utilisation pour l'opéra), est parue le 30 mars 1877 dans le journal The Sun de New York. Il s'agit d'une lettre d'un anonyme utilisant le pseudonyme "Electrician" et qui porte sur les merveilles d'un dispositif semblable à la télévision appelé «électroscope». Une partie de la lettre disait ceci: «Le téléphone et l'électroscope appliqués sur une grande échelle permettraient de représenter en même temps sur cent scènes dans diverses parties du monde l'opéra ... ... dans n'importe quel théâtre.". C'est une description raisonnable des transmissions mondiales actuelles d'opéra en direct vers les salles de cinéma et autres auditoriums.
"Electrician" citait l'opéra, comme l'une des applications possibles de "l'électroscope" et il n'a jamais prétendu être son inventeur; l'invention était attribuée à «un éminent scientifique de cette ville» qui était «sur le point de publier ...» La lettre suggère cependant une explication de la technologie impliquée, comprenant une absurdité au sujet des caméras qui seraient des "boîtes ou salles, selon la taille requise" avec "des fils quasi électriques d'une fabrication et d'une consistance particulières" et des "écrans" ou "panneaux d'affichage" (displays) constamment remplis d'un gaz nouvellement découvert, une sorte d'éther magnéto-électrique, dans lequel les courants de lumière ou de couleur resplendissent encore….".
Par contraste, Ochorowicz, qui était clairement conscient des derniers développements technologiques, a présenté seulement l'opéra comme la raison d'inventer ce qu'il a appelé un "téléphotoscope" ("telefotoskop" dans le polonais original). L'année même où Thomas Edison indiquait que le but principal du phonographe était la dictée de textes, Ochorowicz écrivait que le téléphone et le phonographe offraient la possibilité d'entendre des représentations de la diva d'opéra Adelina Patti à la maison.
Voici ma tentative de traduction (assistée par Google et les natifs polonais) de ce qu'Ochorowicz a écrit ensuite. «Quel plaisir ce serait pour moi, installé à Lwów, si je pouvais écouter l'opéra italien depuis Paris, mais je ne verrais ni artistes, ni décors, ni impressions sur les visages des spectateurs ni sur les costumes - en un mot, rien! Cela ne peut pas être. Après la téléphonie et l'enregistrement, il faut inventer le téléphotoscope."
Ochorowicz a continué à analyser la technologie nécessaire. Tout d'abord, il suggère de "Trouver un moyen de convertir les variations de l'intensité lumineuse en un signal électrique." Il a rendu compte des derniers travaux dans ce domaine, y compris l'œil artificiel à base de sélénium récemment démontré par William Siemens.
Dans le second paragraphe, il indique qu'il s'agit "de trouver un moyen d'obtenir le signal dans un seul fil". "Electrician" proposait de tordre "plusieurs milliers de fils" dans un câble; «En entrant dans le récepteur, le câble est détordu ...».Ochorowicz s'est plutôt tourné vers le balayage d'image (scanning) déjà utilisé par Caselli dans son Pantelegraphe, un système de transmission de type télécopieur à image fixe qui a été commercialisé en France en 1865. Le compositeur Gioachino Rossini avait l'habitude de transmettre des partitions sur de longues distances à partir du 22 janvier 1860.
Ochorowicz s'est attaqué au problème de la conversion du signal électrique en lumière. C'est un peu difficile à comprendre d'après le polonais du 19ème siècle (Google Translate a aussi du mal), mais il semble qu'Ochorowicz ait pu faire référence à une lumière de polarisation-rotation basée sur l'effet Kerr récemment découvert. "Et ici, tout de suite, les yeux du spectateur seront accueillis (released) au sein de l'Opéra de Paris", et, avec l'ajout de lentilles de projection appropriées, l'image "pourra être agrandie pour l'ensemble du public dans un théâtre".
Addendum André Lange, 30.8.2024. Selon un article du quotidien viennois Neue Freie Presse (15 avril 1908), Ochorowicz aurait, en avril 1898, accompagné l'inventeur Jan Szczepanik, l'"Edison polonais", dont l'invention d'un Fernseher avait été révélée le 25 avril 1898, ainsi que les soutiens de celui-ci (le banquier Ludwig Kleinberg et l'architecte Halbrich), à Lemberg (aujourd'hui ,Lviv, pour rencontrer Rychnowski, l'inventeur d'une supposée force nouvelle baptisée l'électroïde. Ils auraient créé ensemble une société, la "Gesellschaft für die Verwerthung von Neuerungen auf technischem Gebiete". La seule autre source qui indique également cette rencontre est un article d'un certian V.ictir R. Lang, de Lamberg, paru dans la revue spiritiste Psychische Studien du 8 juin 1898. On peut supposer que Lamberg a transmis l'infirmation au quotidien viennois.
Julian Ochorowicz (1850-1917)
Julian Ochorowicz, "O możliwości konstrukcji urządzenia do przesyłania obrazów na dowolną odległość", Kosmos, 3/1878. (Silesian Digital Library)
Extrait de la lettre "Electrocope" de Electrician, The Sun, New York, 30 March 1877
Adelina Patti en Lucie de Lamermoor, photographie par Camille Silvy (années 1860)
Bibliographie
OCHOROWICZ J., "O możności zbudowania przyrządu do przesyłania obrazów optycznych na dowolną odległość.", Kosmos, 3/1878. Traduction partielle en français.
Une page web en polonais; Ochorowicz Julian, fournit des pistes bibliographiques que nous n'avons pu vérifier.
PSB (Krajewski J.) - tu omówiono szeroko dokonania Ochorowicza w dziedzinie psychologii, hipnotyzmu, magnetyzmu, spirytyzmu, parapsychologii;
SPPT (Orłowski B.); "Przegląd Teletechniczny" 1975 nr 3 (Jakubowicz M.);
Wajdowicz R.: Julian Ochorowicz jako prekursor telewizji i wynalazca w dziedzinie telefonii, Wrocław 1964
[B. Orłowski: Ochorowicz Julian, PSB, PAN, 1978; str 152]
[Literatura polska. Przewodnik encyklopedyczny. Komitet redakcyjny pod przewodnictwem Juliana Krzyżanowskiego, od 1976 Czesława Hernasa. Warszawa]
[Bobrowska-Nowak, W. Julian Ochorowicz na drogach i bezdrożach psychologii. Kwartalnik historii nauki i techniki, 1971, nr 1]