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Alexander Apollonovich Polumordvinov 

(1874-1942)

Maquette de l'appareil à deux disques de Polumordvinov au Musée des Sciences et Technolgies de Moscou. (Photo : André Lange)

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L'Université impériale de Kazan

au début du XXème siècle

Panneaux présentant le brevet de Polumordvinov au Musée des Sciences et Technologies de Moscou 

Alexander Polumordvinov obtient en France le premier brevet de télévision de télévision en couleurs (1900)

 
L'électricien et inventeur russe Alexander Apollonovich Polumordvinov (1874-1942) est né le 30 août 1874 dans un village de la province de Slobodskoye Vyatka, dans une famille noble appauvrie. Son père mourut quelques mois après sa naissance et il fut éduqué par sa mère Alexandra Kapitonovna, sans grandes ressources. La famille déménagea en 1884 à Kazan. Sa mère obtint de le faire entrer directement au 3ème degré du lycée et il décroche son diplôme en 1892.  Il a ensuite étudié au Département de Physique et Mathématiques de l'Université de Kazan, où il ne reste qu'un an, insatisfait du programme et s'inscrit à l'Institut de technologie de Kharkov, où il est soutenu par le Professeur Mukhachov, qui apprécie sa créativité et son enthousiasme. Ayant obtenu son diplôme en 1898, il rentre à Kazan et postule pour un poste à l'Ecole industrielle. Malgré ses charges professionnelles, il se livre à des recherches et obtient les autorisations de participer aux événements scientifiques de Saint-Petersbourg.  Il s'inscrit finalement comme étudiant à l'Institut d'électricité de Saint-Pétersbourg et travaille pendant deux ans au développement de son telephot.

 

Une demande de brevet en Russie

Il a déposé le 23 décembre 1899 une demande de brevet pour une appareil de transmission des images en noir et blanc ou en couleur. D'après la description qu'en donnent les historiens russes R.V. Dautova,  M.H. Fatibova et Victor Uralov, trois options étaient proposées.
 
Dans la première option, l'appareil utilise deux disques situés sur un axe et tournant à des vitesses différentes. Le premier comprend des fentes sur les lignes radiales, tandis que le second est un système de deux disques à encoches tel que proposé en 1894 par l'inventeur italien 
Quirino Maiorana qui lui-même souhaitait perfectionner la proposition de Brillouin. En 1898, le major autrichien Benedict Schöffler avait également proposé un système à double disque.  

 

Dans le système de Polumordvinov, durant la rotation, les trous et les fissures se croisent et créent un "trou traversant" en forme de diamant. Le nombre de fentes est divisible par trois. Les fentes d'un disque sont fixées alternativement par le rouge, le vert et le violet. Les deux disques sont reliés par un double mécanisme et tourner dans le même sens à des vitesses différentes. Chaque fente doit scanner une ligne de l'image. Pendant que la première fente opère sur la première rangée, une nouvelle fente commence à opérer qui, à son tour, va lire la seconde rangée, etc. La lumière passant à travers une ouverture rhombique est convertie en signal électrique utilisant une cellule photoélectrique qui transmet le signal à une station de réception et contrôle l'intensité de la lumière de la même manière que la station d'analyse.

 
Dans la deuxième option, Polumordvinov proposait d'utiliser à la place des disques deux cylindres disposés concentriquement avec des fentes couvertes alternativement par des filtres rouge, vert et violet. 

Dans une troisième option, deux prismes avec le même nombre de facettes de miroirs tournent sur des axes mutuellement perpendiculaires.

Selon Albert Abramson, il s'agissait du premier système "séquentiel" de télévision en couleur. L'appareil était basé sur la théorie des trois couleurs de base développée par Lomonosov et Helmholtz. 

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Schéma du téléphote d'A. Polumordvinov dans son brevet français (1900)

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Graphique illustrant le principe de l'analyseur en double disque dans l'article de Marcel BRILLOUIN, M., "La photographie des objets à très grande distance"Revue générale des sciences, 2, 30 janvier 1891.

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Graphique illustrant le principe de l'analyse par double disque à dentes radiales dans l'article de Majorana (1894)

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Schéma du système à double disque de Schöffler (1898) tel que repris dans l'article de Constantin Persky (1899)

Maquette de l'appareil à deux disques de Polumordvinov au Musée des Sciences et Technolgies de Moscou. On remarquera que, sur cette maquette (dont nous n'avons pu établir la provenance et l'authenticité) le premier disque est perforé par des trous et non par des fentes radiales telles que décrites à la fois dans le texte et sur le graphique (Photographies : André Lange)

Le soutien de ses collègues russes et du Ministre de la Guerre

 

Selon certaines sources russes, Polumordvinov aurait d'abord fait une démonstration de son appareil au Collège industriel de Kazan, en 1899. En décembre 1899, il prend un congé à l'Ecole industrielle de Kazan pour aller déposer son brevet à Saint-Petersbourg. Il arrive dans la capitale le 23 décembre et se rend directement au Département du Commerce et de l'Industrie du Ministère des Finances. Le 27 décembre, il présente son invention au premier Congrès électrotechnique panrusse à Saint-Pétersbourg, ce même congrès durant lequel Constantin Perskyi fait une communication sur les différents appareils de transmission des images par l'électricité. Un petit article paraîtra dans la revue Electrikestvo. Lors de ce Congrès, Polumordvinov rencontre, outre Perskyi, les principaux chercheurs russes: Alendander Popov, le pionnier russe de la T.S.F., Boris Rosing, qui va émerger comme un des premiers théoriciens de la télévision électronique.

Sa présentation a suscité l'intérêt et il est invité à faire une présentation plus détaillée le 28 avril 1900, lors d'une réunion de la Société russe de technologie (Русского технического общества) qui se tient à Saint-Petersbourg. Il devait y présenter une version améliorée de son téléphote.  La reconnaissance par les autres chercheurs russes a renforcé l'enthousiasme de Polumordvinov, mais il s'est heurté à trois obstacles importants : le manque de financement et le manque de matériel électrique adéquat pour perfectionner son appareil et le manque de temps en raison de ses obligations professionnelles.
 
Pour résoudre le problème de financement il écrivit au Ministre de la Guerre, A. Kuropatkine. Celui-ci lui accorda, selon R.V. Dautova et M.H. Fatibova, une subvention de 2000 roubles. Les travaux de l'inventeur intéressaient évidemment le ministère de la Guerre. Selon  Evgeny Grigoriev,  Professeur adjoint à la KNITU, Polumordvinov a reçu plusieurs subventions, pour des montants plus importants : 
"Des centaines de milliers de roubles. Je pense que si vous creusez dans les archives du ministère, vous pouvez trouver beaucoup plus d'informations, même si cela n'a pas été fait."

Le problème de l'accès au matériel électrique pertinent était plus compliqué à résoudre. Polumordvinov fit appel à différentes usines telles que Siemens & Halske, Glebov, Geysnera, mais sans succès. Suite à la recommandation de M.A. Shatelen ("Monsieur de Chatelin"), figure principale du milieu des électriciens russes - il conduira la délégation russe au Congrès international de l'électricité de Paris en août 1900 - Polumordvinov reçut l'aide du Technological Institute Peterman. Celui-ci produisit, avec lenteur, les prismes de miroirs et la station d'émission. Le téléphote avec disques tournants à fentes était produit à l'usine de production de téléphone E.V. Kolbasyev à Kronstadt. Mais les autres éléments devaient venir de l'étranger : les cellules de sélénium et les éléments électro-optiques de Paris, les miroirs argentés et les verres d'Allemagne, le galvanomètre, les engrenages à vis pour les prismes de miroirs et les condensateurs optiques d'Angleterre.

N'ayant pu obtenir un congé de l'Ecole de Kazan, il ne put participer à la réunion de la Société russe de technologie du 28 avril 1900, mais son rapport y fut présenté par N.M. Sokolsky. Le rapport  était intitulé dans la traduction anglaise de l'article de R.V. Dautova et M.H. Fatibova, "The current state of the issue about an electric vision at a distance (televiewing)". J'ignore quel est le terme russe qui est traduit par "televiewing" mais il s'agit probablement du même телевизирование que Perski avait utilisé en décembre 1899 dans sa communication à Saint-Petersbourg et qui sera traduit par télévision dans sa communication à Paris, le 24 août 1900. Selon  le journal Electrikestvo, la réunion du 28 avril fut animée mais le rapport de   Polumordvinov fut bien accueilli et le projet de téléphote aurait notamment reçu le soutien de Constantin Perskyi (1). Les participants constatèrent la supériorité de l'appareil par rapport au télectroscope du Polonais Jan Szczepanik qui défrayait la chronique depuis deux ans et dont la présentation à l'Exposition universelle de Paris était annoncée.

A Kazan, Polumordvinov continuait à perfectionner son projet. Il conçut un nouveau type d'appareil dans lequel il proposait d'utiliser des miroirs oscillants (peut-être en suivant la proposition de Jan Szczepanik, dont la description circulait en Europe depuis le printemps 1898) à la place des prismes de miroir et d'accroître l'illumination de l'image et de faciliter la correction du synchronisme. Il arrivait, selon R.V. Dautova et M.H. Fatibova, à la conclusion qu'il était nécessaire, pour transmettre plus d'un point d'image à la fois, de diviser les images en nombre correspondant d'unités et d'utiliser pour chacune une partie distincte de cellule de sélénium et des récepteurs électromagnétiques individuels. 

Au cours de l'été 1900 il obtint l'autorisation de sa direction de se rendre à l'Exposition universelle à Paris.  Selon R.V. Dautova et M.H. Fatibova il participa au Congrès international d'électricité, au cours duquel Constantin Perskyi cita le téléphote de Polumordvinov dans sa communication "Télévision au moyen de l'électricité"  (25 août 1900).mais son nom ne figure pas sur la liste des membres du Congrès.(2) Il est tout à fait possible que M. de Chatelin, et  fort de sa position de Vice-Président du Bureau du Congrès et connaisseur des pratiques françaises, lui ait obtenu un passe-droit. La chose est d'autant plus possible que, chose qu'aucun historien n'a remarqué jusqu'à présent,  Polumordvinov avait obtenu le 9 juillet 1900 un brevet français pour son téléphote.

L'Institut d'électricité de Saint-Petersbourg (LETI) au début du 20ème siècle?

Sceau de la Société Technique Impériale Russe: "Mesure, poids, nombre"

Alexei Kuropatkine (1848-1925), Ministre de la Guerre de 1898 à 1905.

(1) Journal Electrikestvo, 1900, cité par Л. С. Лейтес, К 100-летию термина "телевидение""Электросвязь" №8, 2000 г., стр. 45 (reproduit sur Виртуального компьютерного музея  (LEITES L.S., "Pour le 100e anniversaire du terme "télévision"", Electrosvyaz No. 8, 2000, page 45, repris sur le site du Musée de l'informatique.

(2) "Liste des membres du Congrès d'Electricité" iCongrès international d'électricité : Paris, 18-25 août 1900. Rapports et procès-verbaux publiés par M. E. Hospitalier, Gauthier-Villars, Paris, 1901, pp.475-520

Bulletin des lois de la République française, janvier 1902, p.2464

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Eugène Ducretet

Sources russes utilisées pour cet article 

 

 

Le quatrième brevet français en matière de transmission d'images

 

La demande de brevet a probablement été déposée en début d'année. Il s'agit là du premier brevet au monde concernant la télévision en couleur, mais non du premier brevet enregistré en France pour un appareil relatif à la transmission des images : Suaire avait obtenu un brevet le 25 février 1893 pour son téléfacigraphe, l'inventeur polonais Jan Szczepanik et son banquier Ludwig Kleinberg avaient obtenu le leur en janvier 1898 et le hongrois Henri Bauer le sien en mars de la même année. Le pionnier Constantin Senlecq n'obtiendra le sien qu'en 1907.

Fort de son brevet, Polumordvinov a pu approcher Eugène Ducretet. Eugène Ducretet (1844-1915) est une personnalité incontournable pour un inventeur. Il a créé en 1864, à vingt ans,   son atelier de construction d'instruments de précision "pour les sciences de l'Industrie", installé Rue des Ursulines, près des Grandes Ecoles. Il est connu de l'Europe entière et quelques uns des grands savants de la fin du siècle, Louis Pasteur, Claude Bernard, Marcellin Berthelot, Henri Becquerel, d'Arsonval, Pierre Curie, Wilhelm Röntgen, Edouard Branly,...Ducretet venait de recevoir un des Grands Prix de la classe 27 (Applications divers de l'électricité) de l'Exposition universelle. Ducretet a joué, en 1898, un grand rôle dans le lancement de service de T.S.F. en établissant la liaison entre la Tour Eiffel et le Panthéon. Alexander Popov correspond régulièrement avec lui, en français. (3) Il a dû profiter de son passage à Paris pour le Congrès pour le rencontrer et pour lui présenter Polumordvinov. Le constructeur aurait accepté de travailler avec le jeune inventeur russe pour construire les parties nécessaires de son téléphote. Malheureusement le séjour de Polumordvinov à Paris était de courte durée, Ducretet exigeait la présence sur place du concepteur et fit rapidement savoir qu'il abandonnait ce travail.

Le retour en Russie

Rentré en Russie, Polumordinov reprit ses études à l'Institut d'électricité de Saint-Petersbourg, se perfectionnant en téléphonie, télégraphie et ingénerie électrique. En 1903, Polumordvinov sera un des premier à proposer de combiner la transmission de la couleur et du son, ce qui était à l'époque une révolution.  Alors qu'il a obtenu son brevet français en quelques mois, il devra attendre jusqu'au 27 février 1906, plus de six ans après son introduction pour obtenir son brevet russe sous le numéro 10738. Contrairement à ce qu'écrivent les historiens russes, il ne s'agit pas du  premier brevet mondial concernant la télévision en couleur, puisqu'un brevet a été attribué dès juillet 1900.

Après avoir obtenu son diplôme à l'Institut d'électricité, Polumordinov sera engagé à la Direction générale des Postes et Télégraphes comme assistant manager du département du téléphone. Il suivit encore des cours à l'Institut d'électrochimie de Saint-Petersbourg, travaillant sur les questions de résistances des circuits de courant continu. En 1908 il fut attaché à l'Institut d'Ingénerie électrique où il travailla dans les laboratoires pendant deux ans.

A partir de 1911,  Polumordvinov a vécu à Vyatka. Il a occupé des postes importants dans diverses branches de l'économie nationale, a été architecte de ville, a participé activement à l'élaboration de projets et de projets d'installations électriques et d'autres développements importants. 

En 1913 il a encore présenté des appareils améliorés pour la transmission des images en couleur mais ne retourna à Saint-Petersbourg qu'en 1915. Il essaya encore d'intéresser des industriels à ses brevets, mais sans succès. En désespoir de cause, d'après les historiens russes, il ait vendu son brevet sur la transmission des images en couleurs à John Logie Baird. Après quelques améliorations, en 1925, Baird réussit à effectuer une série de tests en laboratoire d'un système de transmission d'images couleur à distance, et en 1928, il organisa la première démonstration publique. Les biographies de Baird que j'ai consultées (Burns, McLean) ne mentionnent pas le nom de l'inventeur russe et l'affirmation de la vente des brevets reste donc à démontrer. En Russie même, d'autres inventeurs (O.A. Adamian, Lev Termen, Boris Rosing) vont occuper la scène des inventions en matière de télévision et Polumordvinov va progressivement être oublié. Il mourra isolé en 1942, au plus sombre de la Seconde guerre mondiale.

Les historiens anglo-saxons (Shiers, Abramson, Burns, Fisher) ainsi que l'archéologue des médias Siegfried Zielinski citent son nom et son brevet, mais sans précisions biographiques et ce n'est que dans les années 80  quelques historiens russes de la télévision (A. Orlova, A. Urvalov)  le redécouvrent. On peut voir au Musée des Sciences et Technologies de Moscou une maquette de l'appareil à deux disques de Polumordvinov. Espérons qu'avec cet article, il entre enfin dans l'histoire de la télévision française, dont il obtient le troisième brevet.

Remerciements à Oleg Makhrovsky qui m'a aimablement communiqué les contributions d'historiens russes.

André Lange, 20 décembre 2001. Révision 25 janvier 2018, 29 juillet 2024

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Tarif raisonné de la maison Eugène Ducretetv(1900) Source : CNUM/CNAM

(3) Voir MAURET, A., "Eugène Ducretet", La Justice, 7 décembre 1905 ; PONTE, M. "Discours à l'inauguration d'une plaque sur la maison où mourut Eugène Ducretet", in Notices et discours, 1963-1972 t.5; Institut de France,  1970. AMOUDRY, M., Le Général Ferrié et la naisssance des transmissions et de la radiodiffusion, Presses Universitaires de Grenoble, 1993, p.45.; MONTAGNE J.C. Eugène Ducretet, pionnier de la radio, Autoédition, 

POLUMORDVINOV, A.A., Brevet pour un appareil de télévision en couleur, Demande introduite le 23 décembre 1899. Brevet russe N°10738, attribué le 27 février 1906.

Schéma de l'appareil de Polumordvinov (Source ; A.A. URVALOV, (1991, p.61).

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