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Autoportrait du caricaturiste Joseph Ferdinand Keppler;  fondateur de Puck.

""A Telephonic suggestion", Puck, n°3, New York, March 1877

Dès le 22 mars 1876, un article du New York Times avait imaginé la possibilité de la diffusion de concerts par téléphone. Ce thème va se développer dans la caricature à partir de 1877, après les démonstrations de transmissions musicales par téléphone que Graham Bell et Elisha Gray réalisent chacun de leur côté. 

Le lundi 2 avril 1877 a lieu au Steinway Hall de New York un "concert par téléphone" organisé par Elisha Gray, le concurrent malheureux de Graham Bell. A vrai dire, il ne s'agissait d'un concert par téléphone, mais d'un concert utilisant une sorte de piano télégraphique à 16 touches, sur lequel le pianiste Frederick Boscowicz  jouait, la plupart du temps d'une seule main, à partir des bureaux de la Western Union à Philadelphie. Le récepteur, installé sur un piano dans la salle de concert, était composé de 16 tubes de bois creux résonnants, de deux à six pieds de longueur, joints par des barres de bois. Un électro-aimant, recevant le signal par télégraphe, était fixé à une des barres. Les comptes-rendus dans la presse donnèrent des avis mitigés sur l'audition. Les tonalités étaient perçues, mais les notes les plus hautes étaient faibles. Le timbre était assez similaire à celui d'un orgue et l'ennui naissait assez vite. Ce concert n'était pas le premier du genre : selon The Journal of the Telegraph, (15 mars 1877) Elisha Gray avait déjà fait une démonstration le 6 février 1877 à Milwaukkee (avec une liaison à partir de Chicago), mais le concert du Setinway Hall fut le plus couvert par la presse et donna lieu à une intéressante fantaisie dans l'hebdomadaire satirique Puck. 

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Le "concert télégraphique" d'Elisha Gray au Steinway Hall, 2 avril 1877 (Source : Frank Leslie's Illustrated Newspaper, 21 April 1877)

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Animé par le dessinateur d'origine autrichienne Joseph Ferdinand Keppler (1838-1894), Puck s'est amusé de ce concerta avant même qu'il n'ait lieu, en publiant le 30 mars 1877, c'est-à-dire le même jour que le New York Sun publiait son canular de l'electroscope, un article et un dessin de Keppler, "A telephonic suggestion"

 

Article et dessin posent la question de l'absence de présence physique des interprètes dans ce type de concert : "Si on nous retire le privilège de voir les chanteurs dont les voix sont entendues de loin, nous devrions néanmoins disposer de leur présentation contrefaite (counterfeit presentments). Le seul inconvénient - il doit y avoir des inconvénients pour chaque chose - est que quelques rusés spéculateurs pourrait nos tromper en affichant la voix d'un ténor de troisième catégorie avec une image de Wachtel et qui, sauf les plus critiques d'entre nous, serait capable de percevoir la différence, quand la gorge qui gazouille les notes est à autant de miles de distance ?"

Il s'agit d'une des toutes premières, sinon la première, caricatures consacrées au téléphone. A la différence du canular de l'électroscope, il ne propose pas encore un équivalent du téléphone, mais il indique un manque : un spectacle musical sans voir les interprètes est incomplet et ce manque nécessite d'être comblé par une représentation picturale.

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Joseph Ferdinand KEPPLER, "A Telephonoic Suggestion", Puck, n°3, March 1877

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Joseph Ferdinand KEPPLER, "Zur Beachtung für Impresari", Puck Illustriertes, humoristisches Wochenblatt,; n. 27, März 1877

Tricks of the telephone Cartoons showing various uses for the telephone Funny Folks 16th J

"Tricks of the telephone", Funny Folks. 16th June 1877 (Source : British Library)

La "proposition téléphonique" de Puck est partiellement reprise dans le dessin "Tricks of the Telephone" publié le 16 juin 1877 par le magazine satirique britannique Funny folks : a weekly budget of funny pictures, funny notes, funny jokes, and funny stories dirigé par James Henderson. En bas à droite "The concert of the future" montre différents diffuseurs. Ici pas de portraits de chanteurs, mais de simples panneaux indiquant le nom des interprètes? 

Historien des rapports entre opéra et technologies de communication, Mark Schubin rapporte l'anecdote suivante, qui n'est pas sans rapport avec la proposition anti-acousmatique de Puck.  

Dans les dernières années de sa vie, Edward Plunket Fry,, qui avait été journaliste, impresario, producteur et directeur de l'Astor Opéra  à New York était invalide alité, incapable d'assister à des représentations d'opéra. Ainsi, en 1880, à ses propres frais, il fit installer une connexion téléphonique de l'Académie de musique de New York à sa chambre, avec la permission du colonel James Henry Mapleson, qui dirigeait l'opéra et envoyait des livrets à Fry. Dans son lit, Fry écoutait l'opéra, lisait le livret et regardait des photographies des chanteurs, qu'il tapotait quand il pensait qu'ils chantaient bien et qu'ils retournaient autrement.

 

Mark Schubin ajoute le commentaire suivant "À l'époque, il n'y avait pas de haut-parleurs, donc entendre l'opéra nécessitait de presser un combiné téléphonique contre l'oreille, ce qui soulève une question : entre livret, photos et récepteur téléphonique, combien de mains Fry avait-il ? S'il s'agissait des deux standards, il a probablement installé quelque chose pour tenir le récepteur à son oreille, inventant non seulement le divertissement électronique à domicile, mais aussi le casque."

Puck continuera à se moquer de ce concert par téléphone. Dans son n°5, (April 1877) un article se moque de la transmission qui a été perturbée par un orage, indiquant que les opérateurs du téléphone auraient dû mieux choisir la météo pour leur concert. Ironisant sur les "notes volées", il suggère également  que les organisateurs auraient dû faire en sorte qu'un policier soit placé à chaque relai entre Philadelphie et New York pour éviter ce type de larcin. 

Dans le numéro suivant, (n°6, April 1877), le journal indique que les producteurs de guimbardes sont inquiets du succès du téléphone car ils craignent que le nouvel instrument ne détruise leur marché. 

Téléphone et électroscope

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Joeph Ferdinand KEPPLER, "The Trouble in the East", Puck, n°8, May 1877

Le téléphone se retrouve en couverture du n°8 (May 1877), sous le titre "The Trouble in the East. Puck sends his special artist correspondent, fully equipped, to the seat of war".

 

Le 24 avril 1877, la Russie a déclaré la guerre à la Russie. Puck envoie donc sur le front un "artiste-correspondant, armé de pied en cape" équipé d'un téléphone (sous forme d'un tutau enroulé et  d'un porte-voix !), d'un matelas, d'une cage avec un chat, d'une cafetière, d'un moulin à café, d'une ou deux bouteilles de champagne, d'un pistolet,... La couverture est expliquée dans un petit article de la page qui qui précise "all will be transmitted to us by electroscope and telephone". Cet article est le premier à imaginer la couverture d'une guerre non seulement par le téléphone mais également par l'image télévisée, celle de l'électroscope Il anticipe de quatre ans le fameux dessin du correspondant de guerre dans le Vingtième Siècle d'Albert Robida (1881).

Dans l'édition en allemand de Puck, de mai à juillet 1877, on trouve les "Telephonische Kriegsberichte" d'Abdul Schlaukoff. Un soldat turc et un soldat russe dictent leurs rapports par téléphone (transmis par un tuyau sous-marin) à la rédaction

André Lange, 18 mars 2023. Révision 22 mars 2023.

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Couverture de la version en allemand de Puck, n°32, Mai 1877

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Joseph Ferdinand KEPLER, "Abdul Schlaukopf's Telephonische Kriegsberichte"; Puck (version en allemand), n°33, Mai 1877

Sur Puck et Joseph Ferdinand Keppler voir :

  • John J. APPLE, "From Shanties to Lace Curtains: The Irish Image in Puck, 1876–1910", Comparative Studies in Society and History , Volume 13 , Issue 4 , October 1971 , pp. 365 - 375

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