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Le New York Sun rapporte le 1er mars 1896 deux informations en provenance de Londres, dont une sur la transmission des images.

Canular ou écho de recherches oubliées ? 
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Un fluoroscope (in THOMPSON, 1896, p. 116). L'auteur n'indique malheureusement pas de quel modèle il s'agit. Probablement le sien propre.

Le 1er mars 1896; le New York Sun publie, dans le cadre de nombreuses nouvelles d'un special cable dispatch datée de Londres, 29 février 1896, deux entrefilets relatifs aux rayons X, dont, à première lecture, on pourrait penser qu'il s'agit de canulars. Après tout, c'est bien ce journal qui, en mars 1877, avait lancé le canular de l'électroscope, premier bobard de l'histoire de la télévision.

 

Aucune autre source ne fait référence explicite aux deux inventions rapportées. Les historiens de la téléphotographie et de la télévision, ainsi que les historiens des rayons X semblent avoir négligé ces histoires. Elles méritent cependant un peu d'explorations. Notre analyse nous conduit à penser que le special cable dispatch rend compte de recherches en cours à Londres et qui, sans être décisives, ne sont pas étrangères à l'histoire de la vision à distance. 

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La une du New York Sun du 26 janvier 1896 annonçant la découverte de Röntgen. 

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The Sun, New York, 1st March 1896

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The Atlanta Constitution, 3 March 1896

The Medical News 7 3 1896.png

The Medical News, 7 March 1897

L'invention attribuée à J.G. Vine

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Le cable special dispatch signale une sorte d'application téléphotographique, voire télévisuelle, des rayons-X : "Un inventeur londonnien, J.G. Vine a annoncé qu'il a réussi à photographier à la fin d'un cable des objets exposés entre deux tubes vides à l'autre bout du câble et a déclaré qu'il serait bientôt en mesure de photographier des objets à n'importe quelle distance grâce aux rayons X ou à des rayons magnétiques transmis par câble; Il m'a décrit le processus aujourd'hui mais a interdit de dévoiler les détails tant que l'expérience n'est pas terminée". 

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Ce J.G. Vine est probablement  l'inventeur et physicien du nom de James George Vine,  auteur d'une brochure de vingt pages An Explanation of the Constitution of the Ether, of the Constitution of Matter, and of the Cause of Universal Gravitation, London 1891. Il a été membre de la Royal Astronomical Society depuis le 11 février 1881, et demeurait en 1895 dans le quartier Streatham de Londres. Il a obtenu deux brevets britanniques 

  • 11 672 "Positive and Negative Lightning Conductor" (référencé dans The Electtrical Engineer le 21 juin 1895)

  • 13 061 "Earth Battery",  13 061 (Engineer le 5 juillet 1895)

 

Comme nous l'avons mis en évidence, l'idée du recours aux rayons-X pour la diffusion d'images à distance a été formulée Edison, qui semble l'avoir expérimentée le 12 février. La différence avec la proposition d'Edison est que Vine propose d'utiliser deux tubes pour la captation, là où Edison semble avoir expérimenté avec un seul. L'entrefilet du Sun ne nous dit rien sur les modalités envisagées pour l'affichage à la réception.  L'idée d'un second tube à la réception sera proposée quelques mois plus tard par Robert D'Unger dans son projet de téléphote, qui est la première proposition, à vrai dire peu élaborée, d'affichage sur un tube, idée qui sera développée au début du vingtième siècle par Dieckmann et Rosing, avant d'être mise en pratique avec succès par Zworykin.

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Le fait que nous n'avons pu repérer aucune information similaire dans la presse britannique pourrait faire penser qu'il s'agit d'un canular, qui, comme tout bon canular, se donne des éléments de plausibilité mais recourt à l'excuse de la confidentialité pour éviter d'avoir à décrire de manière précise le dispositif annoncé. Mais il est possible que l'auteur du câble londonnien ait recueilli une information orale qui circulait à Londres.

La circulation des deux histoires du Sun

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Les entrefilets que publient The Sun le 1er mars 1869 vont être reproduits par un certain nombre de journaux, y compris des titres de la presse professionnelle, aux Etats-Unis, et même en Australie et en Nouvelle-Zélande. Ils ne constituent évidemment pas un tournant scientifique, mais ils annoncents des développements importants à venir.

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  • Les deux histoires du Sun vont être reprises le même jour par Democrat and Chronicle, un quotidien de Rochester et on peut suivre sa reprise dans d'autres quotidiens.

 

  • Le lendemain,  2 mars 1876;  elles sont dans The Indiapolis News, qui cite comme source The Sun..

 

  • Le surlemendain, 3 mars 1896; elles sont reprises sous forme d'article "Seeing the Unseen" dans The Los Angeles Times, qui n'hésiste pas à la sourcer comme venant de Londres par télégraphe. Le même jour, The Atlanta Constitution en fait un éditorial, sans guère modifier le texte.

 

  • On va ensuite la retrouver dans plusieurs quotidiens : The Herald Los Angeles, 4 mars 1896 ; The Messenger and Intelligencer (North Carolina, 12 mars 1896 ; The St. Joseph Weekly Gazette, (Missouri, 24 mars 1896 )

 

  • Des périodiques professionnels la reprennent aussi (Electrical Review, 4 March 1896, Electrical Engineer, 4 mars 1896 ; The Medical News, 7 March 1897).

 

  • Les deux histoires arrivent en Australie (The Sidney Mail, 11 avril 1896 ; The Barrior Miner, 14 avril 1896 ; The Queenslander, 18 avril 1896 ; Toowoomba Chronicle and Darling Downs Gazette, 18 avril 1896) et en Nouvelle Zélande (The Omaru Mail, 11 avril 1896). 

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  • La revue Photographic Times semble la seule à avoir pris ses distance avec l'information. Dans son éditorial d'avril 1896, consacré aux rayons-X, elle ironisait à propos de l'invention attribuée à J.G. Vine "Peut être un complément visuel sera-t-il proposé dans la prochaine offre proposée aux abonnés".  

"Experiments with X-Rays", Morning Post,

6 March 1896 (extrait)

Morning Post 6 March 1896_edited.jpg
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Tube de Jackson ca. 1896

(Source : Museum of Radiation and Radioactivity)

Houston Daily Post 22 2 1896_edited.jpg

Houston Daily Post, 22 March 1896

La démonstration du Kings College de Londres

 

L'autre information de cet entrefilet du Sun est l'annonce d'une démonstration qui aurait eu lieu au Kings College de Londres. Le témoignage d'un des expérimentateurs est rapporté :

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"Sans l'aide de la photographie, par le simple moyen d'un écran fluorescent et d'une lentille adaptée, j'ai pu réellement voir tous les os de ma main et de mon poignet clairement et nettement définis, ainsi que l'action des articulations. Des objets métalliques ont été facilement vu à travers un solide bloc de bois d'une épaisseur de deux pouces et demi, tels que ceux utilisés pour paver les rues. Une pièce de six pences insérée dans les pages de l'annuaire Bradshaw était clairement visible. Les résulats étaient produits à l'aide d'un nouveau tube vide conçu et fabriqué au College. Les résultats peuvent être facilement vu en plein jour ou à la lumière des réverbères au gaz, aucun assombrissement de la pièce n'est nécessaire".

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Les premièrs appareils de vision directe par rayons X

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Cette première annonce est aussi intriguante que la première. Pour en comprendre  la signification, il faut reconstruire les expérimentations par rayons-X sans recours à la photographie telles qu'elles se multiplient au début de l'année 1896. Les historiens de la photographie négligent souvent l'apport qu' a été celui de la fluoroscopie par rapport à la photographie par rayons-X telle que proposée par Rötgen et il est inexact d'écrire comme a pu le faire Bernd Stiegler (Images de la photographie, 2015) que "Röntgen permet à l'observateur d'accéder à l'intérieur de son propre corps".

 

Le récit de Edward J. Thompson dans son livre de référence Roentgen rays and phenomena of the anode and cathode. Principles, applications and theories (1896, p.84), qui constitue une premier examen systématique des travaux sur les rayons X, est à cet égard une introduction très utile pour comprendre les débuts de la fluoroscopie : 

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"Peu de temps après avoir entendu (vers le 1er février 1896) parler de  Roentgen, l'auteur a eu l'idée de poursuivre ses recherches. expériences avec fluorescence, mais constatant que cela n'était pas pratique travailler dans une pièce parfaitement sombre et, reconnaissant que le carton noir n'avait pratiquement aucun effet sur l'absorption des rayons X, il a conçu un sciascope (quotidiens du 13 février et Elect. Eng. du 19 février 1896) dont il apprit par la suite qu'il avait été inventé indépendamment et utilisé à peu près à la même époque par le professeur William F. Magie, de l'Université de Princeton (voir Amer. Jour. Med. Sci., 7 février 1896 et 15 février 1896) et par le professeur E. Salvioni, d'Italie sous le nom de cryptoscope, (voir Atti e Rendiconti Accademia Medica Chirurgica di Perugia,  8 février 1896.) Environ un mois après (Elect. Eng., N. Y., 1er avril 1996, p. 340) l'instrument (avec tungstate de calcium  phosphorescent à la place du cyanure de baryum-platino fluorescent) a été de nouveau  proposé sous le nom de fluoroscope par Edison. Il y a probablement de nombreux autres prétendants - un professeur à Londres - dont j'ai  oublié le nom. Ils sont tous constitués d'un tube effilé avec un trou de vue à une extrémité et un écran fluorescent à l'autre, qui est fermé par un carton opaque. "


Il est probable que le professeur dont Thompson a oublié le nom est le même que celui évoqué par l'entrefilet du Sun. Il s'agit probablement du physicien Herbert Jackson, qui travaillait depuis des années sur les phénomènes de phosphorescence au Kings College. Il est connu pour avoir conçu un tube cathodique qui porte son nom.  On sait qu'il a perfectionné le cryptoscope du Professeur italien Salvioni (Archives of Clinical Skiagraphy, 1896, citée in GLASSER, 1933, p.234). 

 

Le criptoscopio de Salvioni, appareil assez simple, a été le premier appareil recourant aux rayons X qui permettait de voir directement l'objet sur un écran, sans recourir à une photographie. Il avait la forme d'un tube de carton noir, L'appareil, présenté à l'Académie de Pérouse le 8 février 1896 est cité dans la presse italienne dès le 12 févriern dans la londonienne dès le 13 février 1896 et dans les presse newyorkaise dès le 14 février 1896. On sait peu de chose des expériences de Jackson, mais, le 5 mars 1896, lors d'une séance de la Chemical Society de Londres, il a présenté une "Note on the use of certain phosphorescent substances in rendering x-rays visible." (Proceedings of the Chemical Society, 1896, pp. 57-60). Il apparaît que son système permet d'observer les images obtenues sur un écran et non sur une photographie. La démonstration est décrite le 6 mars dans un article du Morning Post, qui souligne que l'appareil de Jackson permet d'obtenir une image directe, ce qui, en chirurgie, est beaucoup plus pratique que les photographies de Röntgen, qui demandent d'immobiliser le patient pendant au moins 20 minustes  Il est  possible, voire probable, que l'auteur du cable dispatch cité par The Sun a eu une connaissance des travaux de Jackson avant leur présentation officielle à la Chemical Society.

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L'appareil cité dans le cable dispatch a la forme d'un bloc de bois d'une épaisseur de deux pouces et demi, muni d'une lentille. Ce dispositif n'est pas sans évoquer celui qu'Edison va présenter le 15 mars dans The Journal. et qui sera nommé fluorsoscope le 16 mars. L'appareil d'Edison est plus épais, puisque le bloc de bois est d'une épaisseur de 8 pouces, mais on retrouve l'idée du "bloc de bois". Dès 1896 certains critiques ont accusé Edison d'avoir emprunté l'idée de son fluoroscope à Salvioni. Aurait-il eu connaissance également de la proposition du Kings College ? L'information a été reproduite par plusieurs journaux, et son service de veille était particulièrement bien organisé. 

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Les appareils de vision par rayons X, qui porteront différents noms (cryptoscope chez Salvioni, kinetoskotoscpe puis sciascope chez E.J. Thompson, fluoroscope chez H.A. Codman puis chez T.A. Edison) ne sont jamais cités par les historiens de la télévision. Proposés quelques semaines à peine après le cinématographe des frères Lumière, ils constituent pourtant une première réalisation de l'affichage en direct du corps en mouvement sans recours à la pelicule photographique.

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L'idée d'Edison et de J.G. Vine pour transmettre les images par téléphone en recourant aux rayons X va bientôt être explorées par d'autres inventeurs, plus ou moins sérieux : Robert d'Unger, Close, Huber, René Darmezin, Adriano Nisco. 

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Les propositions de Thompson, de Salvioni, de Jackson n'ont pas eu l'écho médiatique du celle du fluoroscope d'Edison, qui va tenir la presse en haleine entre mars et mai 1896 avant de s'inscrire dans la pratique médicale quotidienne. 

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André Lange

9  juin 2024

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The Los Angeles Times, 3 March 1896

"Il criptoscopîo del Salvioni", La Tribuna; 12 Febraio 1896

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criptoscopi Illustrazione italiana 5 lug

Criptoscopio du Professeur Salvioni,

L'Illustrazione italiana, 5 Lugio 1896

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Electrical Engineer, 4 March 1896

The Herald Los Angeles 4 3 1896_edited.j

The Herald Los Angeles, 4 March 1896

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